Algérie

Hommage à Ferhat Abbas



La wilaya de Jijel a célébré, hier mardi, le 34e anniversaire de la mort du premier Président du GPRA Ferhat Abbas, au niveau du musée du Moudjahid, en présence des membres de sa famille.Le programme de cette célébration a comporté des communications animées par des universitaires de Guelma, d'El-Oued et du Centre national des recherches dans le mouvement national d'Alger. Les intervenants ont essayé, tour à tour, d'apporter des éclairages sur le parcours de cette figure emblématique du nationalisme algérien, sa vocation d'intellectuel et de journaliste. Le professeur Boufenache Chemesdine de l'Université d'El-Oued a mis l'accent sur les liens qu'avait tissés le fils du aârch de Béni-Amrane avec les soufis, soulignant que le premier Président du GPRA a visité les régions sud-est du pays à maintes reprises où il a établi de bonnes relations avec les chouyoukh des zaouias de ces régions, pour promouvoir les idées de sa formation politique d'alors. Ferhat Abbas, de son vrai nom Ferhat Abbas El Meki, est né le 24 août 1899 au douar de Bouaâfroune, relevant actuellement de la commune d'Oudjana, dans la wilaya de Jijel. Dans ses mémoires, Ferhat Abbas évoqua son enfance dans cette région montagneuse, située au fin fond des monts de Béni Affer.
«Là-bas, dans un douar lointain, dans une chaumière de bois, près d'un kanoun enfumé, sommeille ma grand-mère, son chapelet à la main. Cent ans de souvenirs, de labeur et de misère pèsent sur ce corps usé, ratatiné et flétri. Des marmots barbouillés de terre l'accablent de leur tendresse ; plus loin dans d'autres chaumières, les hommes rentrent pieds nus, pouilleux et misérables. Un lien irréductible m'unissait à ces êtres simples qui m'aiment et que j'aime : leur sang est mon sang.» Ce tableau reflète réellement la triste réalité du vécu quotidien de larges pans de la population. Ferhat Abbas n'a pas tari d'éloges à l'égard des études qui lui ont permis d'avoir une certaine clairvoyance : «Nos livres représentent la France comme le symbole de la liberté. A l'école, on oubliait les blessures de la rue et la misère des douars pour chevaucher avec les révolutionnaires français? les grandes routes de l'Histoire. Cependant, loin de cette image idyllique de la révolution française, symbole du triomphe de la liberté et du progrès, le quotidien des Algériens était des plus difficiles sous le régime colonial.» Son passage dans la ville de Constantine lui a laissé des traces. Le bac en poche, il accomplit son service militaire sous le drapeau français de 1921 à 1923. Il est employé en tant que secrétaire du gestionnaire de l'hôpital de Constantine, puis de Jijel. Il poursuivit ensuite des études en pharmacie, à l'Université d'Alger. En marge de son cursus universitaire, il fréquenta les milieux intellectuels français. Il suivit les cours de Félix Gautier à la Faculté des lettres. A 20 ans, le fils du aârch de Béni-Amrane deviendra le représentant du courant assimilationniste, dont la principale revendication est l'égalité entre les Français et les «indigènes».
Le prestige qu'il acquit lui permit de contribuer dans plusieurs journaux et revues sous le pseudonyme de Kamel Abencerge, du nom de Kemal Atatürk. Après sa démobilisation du service militaire, il s'est installé à Sétif où il a ouvert une officine de pharmacie, qui devient un forum des idées politiques toutes tendances confondues. Fidèle à ses principes de légaliste, il a été élu député du département de Sétif. Il a fait son entrée à l'Assemblée nationale pour mener un combat pacifique contre le système colonial d'essence négationniste. Il a magistralement réussi à poser avec courage et lucidité la problématique de l'émancipation d'une République algérienne : «Il y a cent seize ans, messieurs, que nous attendons cette heure? Nous autres, primitifs, avons eu la patience de vous écouter, n'auriez-vous pas la générosité de nous entendre '» Malheureusement, ce combat pacifique légaliste n'a pas tenu la route face à un système colonial systématiquement négationniste, basé sur l'exclusion de l'autre et qui a du mal à admettre une éventuelle réforme. Après le refus à deux reprises de son projet sur le statut de l'Algérie, il démissionne de l'Assemblée nationale en 1947, se démarquant ainsi de la voie légaliste qui a montré ses limites face à la surdité du régime colonial. Il durcit alors ses positions, l'hebdomadaire L'Egalité devient, en février 1948, Egalité, République algérienne, puis République algérienne. Il annonçait son ralliement au FLN lors d'une conférence de presse tenue dans la capitale égyptienne le 25 avril 1956. Dès le 20 août 1956, à l'issue du Congrès de la Soummam, Ferhat Abbas devient membre titulaire du Conseil national de la Révolution algérienne, puis entre au CCE en 1957.
Ferhat Abbas devient premier président du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) lors de sa création le 19 septembre 1958. Certains historiens estiment que cette prévisible désignation, vu son poids politique et son charisme, se voulait un signe en direction de la France en vue d'éventuelles négociations. Lors de la crise de 1962 et la rivalité fratricide opposant le GPRA à l'état-major, et contre toute attente, l'auteur de «La nuit coloniale» rejoint le groupe de Tlemcen sous la coupe de Ben Bella, et dans une déclaration au journal Le Monde, il justifie sa position : «La destitution de l'état-major est inopportune. Elle a rendu public un conflit interne au moment où nous avons besoin de clarifier toutes les situations pour rentrer unis au pays. La presse colonialiste et rétrograde parle d'une menace de putsch militaire. Cette interprétation est trop facile pour être exacte... » L'auteur de «La nuit coloniale » fut le premier président de l'Assemblée nationale de l'Algérie indépendante. Il quitte ses fonctions le 15 septembre 1963, suite à son profond désaccord avec la politique volontariste prônée par le Président Ahmed Ben Bella. Il a dénoncé son «aventurisme et son gauchisme effrénés», qui l'excluront du FLN et le feront emprisonner à Adrar dans le Sahara, la même année. Retiré de la vie politique après sa libération en mai 1965 à la veille du coup d'Etat du 19 juin 1965 par le régime de Boumediène, mais en fervent démocrate engagé contre le despotisme et l'autoritarisme d'alors, Ferhat Abbas rédige avec Benyoucef Benkhedda, Hocine Lahouel, Mohamed Kheireddine, en mars 1976, un appel au peuple réclamant des mesures urgentes de démocratisation et dénonçant «le pouvoir personnel» et la Charte nationale élaborée par Boumediène. Il fut encore une fois assigné à résidence jusqu'au 13 juin 1978. Il a été libéré sous Chadli qui l'a décoré de la médaille du résistant le 30 octobre 1984.
Ferhat Abbas est mort à Alger le 24 décembre 1985. Il est enterré au carré des martyrs du cimetière El Alia. De nombreux historiens estiment que le testament politique de l'auteur «Demain se lèvera le jour» est d'une brûlante actualité pour résoudre une équation politique assez complexe, dans un pays qui a du mal à lire son passé d'une manière sereine, sans passions et sans tabous.
Bouhali Mohammed Cherif


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