Le gardien de la mémoire On devait fêter son quatre-vingt-deuxième
anniversaire, ce 16 novembre 2009. On attendait son prompt rétablissement et
son retour en Algérie pour le faire.
Sa naissance, puis celle correspondant au 18 du mois qui marque le
vingtième anniversaire de la Fondation.
A dix jours seulement de ces deux
événements aussi symboliques qu'importants, on est surpris par son subit
départ. Et pourtant : «La mort ne surprend point le sage ; il est toujours prêt
à partir», disait La Fontaine. Dieu en a voulu ainsi, il l'a rappelé à sa
dernière demeure. Il est Le Tout-Puissant. Qu'il repose en paix et qu'Il
l'accueille en Son Vaste Paradis.
Ce fut pour nous un homme
exceptionnel. Un politique, au sens noble du terme. Une figure hors pair, un
militant invétéré qui incarnait non seulement l'intelligence dans toute sa
grandeur que portaient uniquement les quelques artisans de la Révolution de
Novembre, mais ceux aussi pétris de clairvoyance et de savoir-faire propre aux
premiers bâtisseurs de l'Indépendance. Ce gardien de la mémoire, jaloux des
idéaux de notre glorieuse révolution et des valeurs ancestraux, s'il avait eu
la chance de s'abreuver directement à la source du mouvement national à ses
premières heures, il n'a à aucun moment hésité à en faire usage et nous la
transmettre. Sa riche carrière en témoigne. Qu'il soit remercié pour l'enseignement
qu'il nous a prodigué.
Soixante ans de militantisme et
d'engagement politique. 23 ans d'exil et de marginalisation pour avoir exprimé
le droit à l'indignation. Le refus du garde-à-vous. S'il laisse dans nos coeurs
le chagrin de la séparation, l'amertume d'un goût d'inachevé, car on avait
beaucoup de choses à faire en sa compagnie, beaucoup d'espoir à restituer même
une partie infime de notre mémoire collective spoliée par le colonialisme.
Beaucoup d'encouragement à poursuivre notre combat pour l'honneur de la tribu
Algérie. Il restera à jamais présent dans notre esprit, car il est de nous et
nous sommes de lui. Il exprimait les attentes d'un peuple et les espérances de
toute la jeunesse.
Si El-Bachir n'est pas parti. Car
la bonne graine ne meurt jamais. Semée au bon moment et sur la bonne terre,
elle ressuscite en mille autres épis qui donnent chacune des centaines de
graines. Cette valeur inestimable vient juste de tirer sa révérence à la vie, à
la politique «made in», qui gangrène aujourd'hui l'atmosphère, celle des
affamés et des corrompus, pour se consacrer au devoir de mémoire même au-delà.
Il est toujours présent comme le sont d'ailleurs nos valeureux martyrs. Si
leurs dépouilles jonchent les cimetières, leurs bravoures et leurs actes demeureront
à jamais solidement gravés dans notre quotidien. Nous jurons que par eux et
nous respirons que pour eux. Dieu gardera ses fidèles serviteurs.
Si El-Bachir n'était pas
seulement une encyclopédie vivante, une mémoire infaillible, c'était une source
intarissable qui n'avait jamais cessé de nous étonner. Nous nous abreuvions
sans cesse de ses conseils et de ses approches que même les plus avertis des
scientifiques et philosophes se désarmaient devant sa clairvoyance et sa
capacité prospective à vous laisser dans l'expectative d'un étanchement
perpétuelle.
Il s'est battu pour les causes
justes jusqu'à sa dernière heure. N'a-t-il pas été à l'origine de
l'introduction du débat sur le crime contre l'humanité et le crime de guerre en
Algérie. Du danger du révisionnisme et du négativisme. Toujours à l'avant-garde
pour la défense des droits des «indigènes» que nous sommes, de tous les devoirs
envers ses compagnons et ses compatriotes. Il s'est dévoué corps et âme à son
peuple et à sa nation. C'est un animal politique comme il s'y plait de le dire.
Il est parti en silence, sans
remous et sans encombres. Il n'a pas voulu réveiller nos émois en attente. Un
silence imposé par les vicissitudes des aléas de l'existence d'ici-bas. Ce ne
sont pas ses habitudes. Ce battant, ce farouche révolté des systèmes uniques,
des pensées rétrogrades et des régressions fécondes. Il refusait le pouvoir de
la majorité numérique, les discours creux et inutiles, les applaudissements
insolents, les allégeances de soumissions.
En fin visionnaire, n'avait-il
pas senti le vent de la révolte populaire avancer. Il y a presque deux
décennies. N'a-t-il pas déclaré à la veille du 4ème Congrès du FLN, au
quotidien 24 heures que : «Les peuples finissent par exploser comme une
chaudière longtemps comprimée. Et la seule digue convenable contre ces risques
d'explosion est dans l'exercice réel de la démocratie». Cette prédilection lui
donnait raison. Octobre est venu avec son lot de révoltes et de flammes.
Sa longue carrière a débuté un
jour dans une petite bourgade de la colonisation, Kherrata. Il a avait été
parmi les premiers manifestants qui ébranlèrent la quiétude des colons de cette
région durant les massacres de 1945. En 1942, alors qu'il avait quinze ans, il
adhéra au PPA. «Ils nous appelaient, disait-il, les poupia (les poupées) qui
veulent faire sortir la France de chez eux», par dérision. Et oui,
s'exclamait-il, c'est les poupia qui ont libéré ce pays.
Fervent et infatigable militant
au sein du PPA, il entrera en conflit en 1952 avec la Direction et Messali Hadj
pour des raisons stratégiques. Durant ce passage, il a occupé plusieurs postes
au sein de ce parti, notamment à Sétif aux côtés du Docteur Lamine DEBACHINE,
Mohamed BOUDIAF, Ahmed MAHSAS, Abane RAMDANE et bien d'autres figures du
mouvement national.
Un passage au MTLD avant
d'intégrer le FLN. «Interpellé le 2 novembre 1954, il fut placé en résidence
surveillée avant d'être interné au camp de concentration d'Aflou jusqu'en
1957.» Petit à petit, il s'accommodera avec les étroits espaces des geôles
coloniales. «Membre de la Fédération de France du PPA-MTLD, il organisa la
jonction avec les syndicats français et les grandes manifestations en France
qui devaient faire connaître le Mouvement National Algérien et son action syndicale».
Il sera vite fait prisonnier encore une fois à Fresnes le 13 décembre 1958,
d'où il s'en évadera d'une façon rocambolesque en se faisant passer pour un
gardien le 2 octobre 1961. Un épisode qui mérite d'être relaté au grand public.
En prison, il n'a pas perdu son temps. Il introduira une innovation en publiant
un bulletin quotidien qui sera reproduit dans toutes les prisons. «Le souvenir
que je garde de Bachir, c'est le bulletin d'information et le régime politique
pour tous», déclare, des années plus tard, un ex-détenu.
A l'indépendance, il est élu au
suffrage universel comme député à la constituante. Ministre du Travail et des
affaires sociales sous le régime de Ben Bella, il aura l'occasion de présider
ainsi le premier congrès du FLN de 1964. Ministre de l'Information sous
Boumediène, il démissionnera, le 14 octobre 1966, et optera pour l'exil
volontaire. «J'avais une conception du pouvoir différente», disait-il.
Cependant, loin de considérer son différend avec Boumediene comme opposition,
il disait que : «c'est facile de faire le procès du chef, mais c'est
l'entourage qui est beaucoup plus coupable».
Son riche parcours mérite plus de
lignes et d'espace pour être dévoilé en entier. Nous aurons plus tard,
incha'Allah, l'occasion de nous étaler sur l'oeuvre et la vie de feu Bachir
Boumaza, si Dieu nous prêtera encore vie. Je souhaiterai juste conclure sur
deux événements majeurs qui segmentent une partie de sa vie. Avec un nombre
appréciable d'amis et militants, ils lancent en 1990 l'idée de la Fondation du
8 Mai 45 pour lutter contre l'amnésie et défendre la mémoire nationale contre
le révisionnisme et le négativisme ambiant, né à la faveur de la politique
étrangère mené par Chadli Bendjdid à l'époque et qui semble malheureusement se
régénérer jusqu'à l'heure.
Il aura également le privilège de
présider au parachèvement des institutions en la naissance de l'auguste Chambre
haute du Parlement qu'il voulait, comme il l'avait si bien énoncé dans son
discours inaugural en janvier 1998 du haut de son perchoir, en faire une
écluse. Etrange conception diriez-vous d'un concept aujourd'hui dévoyé ou mal
compris. Si El-Bachir continuera encore et toujours de nous étonner même après
son départ. Que Dieu l'accueille dans Son Vaste Paradis.
Repose en paix mon ami, mon
frère, mon père, ta mémoire vivra encore longtemps à travers nous et nos actes.
* Président de la Fondation
du 8 Mai 45
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Posté Le : 08/11/2009
Posté par : sofiane
Ecrit par : M Boukherissa Kheireddine *
Source : www.lequotidien-oran.com