Algérie

Hogra, Éditions Dar El Gharb, Oran, 2005



Hogra, Éditions Dar El Gharb, Oran, 2005
Hogra. Avec ce néologisme choisi pour le titre de son livre, Bouziane Ben Achour a pris le risque de surprendre ceux qui connaissent sa forte répulsion des clichés ternis et des termes galvaudés par les discours politiciens. Mais dès les premières pages, le lecteur comprend et apprécie le choix du vocable pour tout ce qu’il contient d’humiliation, d’injustice, d’exclusion et de brimades...

Hogra, publié par Dar El Gharb en ouverture de son année éditoriale, raconte l’histoire des habitants d’un petit douar de reclus et de “laissés-pour-compte” qui sortent de la torpeur de leur misère quotidienne pour gonfler la révolte et soutenir le combat de leur héros, Mourou Derdba, contre le diktat et l’arbitraire des pouvoirs publics. Le lieu de l’action, un village appelé Sidi Béchar par l’auteur, se localise très vite à Sidi-El-Bachir, l’un des quartiersdouars qui ont poussé comme des champignons en périphérie urbaine, formant depuis l’indépendance la ceinture de misère de la métropole oranaise.

Mourou Derdba, un comédien retraité du TRO, révolté par une décision de “la puissance publique” voulant faire payer une taxe aux citoyens du village qui utiliseraient la nouvelle autoroute menant vers leur cimetière, dénonce la mesure jugée injuste et humiliante et se rebelle contre cet “ordre établi” qui ne profite qu’aux intérêts du “concessionnaire” du “ruban de bitume”. “Nous ne sommes pas obligés de payer de taxe parce que nous existons avant la route...” Avec des arguments simples et débordants de ce bon sens populaire, Derdba plaide sa cause avec réalisme et conviction, affirmant sa volonté “de perpétuer le combat de ceux qui ne peuvent plus y prendre part”.

Car dans ce roman de Ben Achour, où les morts et les vivants se côtoient, Mourou Derdba incarne avec bonheur tous ces Algériens anonymes qui ne militent pas forcément dans la défense de grandes “causes politiques” ou de belles théories sur la conduite humaine, mais qui se révoltent profondément quand il s’agit d’atteinte graves à des valeurs morales et à des “idées non négociables” et collectivement partagées. Il s’agit pour Derdba et ses supporters du droit de se rendre facilement et gratuitement au cimetière “pour réhabiliter les sépultures”.

“Sinon, s’interroge le héros de Bouziane, qu’adviendra- t-il de nous lorsque nous aurons perdu les valeurs qui fondent l’espèce humaine.” Comment, par ailleurs, qualifier Mouloud Derdba de seul “héros” du roman sans risque de dénaturer ce florilège de portraits de personnages succulents de vérité et d’humanisme qui traversent la fiction pour rejoindre le vécu, tant ils semblent réels, visibles, presque identifiables sur le dur terrain des exclus et des condamnés aux galères du quotidien difficile et de ses misères sociales récurrentes.

Boualem Courgette, le chauffeur d’autocar, Hamoudi le mécanicien, Gainchou dit “L’oiseau”, Aoued Sfindja, Hadja Zineb, Khadra Bent el Menkoub, Zaârour le postier, Amar Boussoir, le cafetier, et même Osman Guigua, le brigadier de gendarmerie placé au carrefour de la confrontation avec Mourou Derdba... sont autant de personnages incarnant l’histoire dans ce qu’elle a d’anodin et fertile. Une histoire croisée, multiple, revisitée par l’auteur, par ailleurs, essayiste et dramaturge, au gré de parcours pittoresques et de tranches de vie douloureuses, qui atterrissent tous en cet endroit oublié par le développement et frappé par la “fatalité” des erreurs économiques et urbaines cumulées depuis des décennies d’incurie politique.

Au-delà des préoccupations sociales, bien perceptibles en arrière-plan, comme le chômage, la pénurie de gaz butane, l’eau potable, l’environnement, la pollution de l’air par la décharge voisine, la cherté de la vie ou encore le manque de logement. L’ouvrage de Bouziane Ben Achour pose d’une toute autre manière la problématique de l’échec. Des carences et des lacunes qui, dans la réalité contemporaine, ont parfois conduit à la montée des colères sociales entraînant l’émeute et la violence contre ce qui peut représenter l’Etat dans l’espace de vie communautaire.

Subtilement, dans un style agréable, aéré qui puise harmonieusement dans l’écrit journalistique, le théâtre, le roman historique, le conte populaire et le récit-fiction, Bouziane Ben Achour plante ses personnages et ses décors et nous raconte la passion au bout de la plume, les vicissitudes, les déboires, les préoccupations et aussi les rêves, les espoirs et les révoltes de ces petites gens modestes que l’auteur a appris depuis très longtemps à connaître et surtout à aimer.

À travers Derdba, le héros de son roman, Bouziane Ben Achour écrit et décrit ce refus de la soumission “au fait accompli”, de façon si bien menée et si originale dans l’acte de raconter... que l’on peut objectivement dire que c’est là un trait de génie propre aux grands écrivains...


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