- Certains opérateurs économiques estiment que l'organisation actuelle des portefeuilles en charge de l'économie n'a pas donné de résultats probants. Serait-ce plus efficace pour le secteur de l'industrie de le doter d'un département à part entière '
Le problème ne réside pas dans un tel ou un tel autre portefeuille ministériel. D'ailleurs, le département ministériel dédié à l'industrie a connu depuis les années 80 plusieurs fusions et scissions sans que cela ait apporté une quelconque dynamique au développement industriel. Plus d'une vingtaine de ministres sont passés par là.
Il faut toutefois reconnaître que la personne du ministre peut compter dans l'échiquier : certains ont pu apporter un souffle ou une animation au secteur, car ils ont parfois osé défendre une démarche, un projet.
Dans la majorité des cas, ils n'étaient que l'ombre d'eux-mêmes, ne pouvant pas s'affirmer notamment vis-à-vis des tenants de la Bourse ou du pouvoir. En fait, ces ministères techniques n'ont aucune marge de man'uvre, ils n'ont souvent servi que d'alibi. Donc, le problème est plus profond que l'on ne peut l'imaginer.
Le problème réside en fait dans une question de gouvernance publique : il réside dans la faible coordination entre les ministères et entre les différents autres organismes publics. Sinon, on peut très bien avoir un ministère de l'Economie avec moins de monde et les choses pourraient aller mieux.
- Le secteur industriel contribue autour de 5% du PIB. La demande sociale est satisfaite quasi exclusivement pas les importations. Qu'est-ce qui empêche la mise en place d'un véritable projet de développement industriel '
Il est maintenant largement reconnu que la diversification de l'économie est une nécessité impérieuse, voire une question de survie, pour notre pays. Tous les experts ont attiré l'attention sur le danger d'une dépendance persistante du pétrole. Tous les pays à produits pétroliers ont pris conscience de cette nécessité et se sont engagés résolument dans cette voie. Il faut en convenir que ce n'est pas une mince affaire, car pour y parvenir beaucoup de tabous doivent tomber.
Le développement d'un pays repose sur des sources qui ne tarissent pas.
En vérité, avoir un véritable projet de développement industriel suppose de revoir totalement la politique économique actuelle. Il s'agit en particulier de définir une stratégie industrielle consensuelle lisible et visible basée sur la confiance et la transparence en orientant notamment celle-ci sur la valorisation des ressources naturelles dont disposent le pays, les énergies renouvelables, les NTIC et l'économie verte d'une manière générale.
Il s'agit aussi d'institutionnaliser la concertation et le dialogue, de libérer les énergies entrepreneuriales et clarifier les règles du jeu, d'accompagner le projet industriel du pays par des services technologiques d'appui et des institutions modernes, d'encourager le partenariat, y compris entre public-privé, de définir des politiques territoriales (locales et régionales) appropriées et attractives pour un développement industriel harmonieux tenant compte des potentialités existantes et d'adapter le système de formation aux exigences de la mondialisation.
- Quels devront être, selon vous, les chantiers prioritaires du prochain gouvernement en matière de réformes économiques '
En matière de réformes économiques, tout reste à faire. Les chantiers qui attendent les prochaines instances du pays sont énormes. Le constat qui est établi aujourd'hui sur les réformes engagées est en effet accablant. On peut en relever que les problèmes structurels de l'économie algérienne restent entiers (notamment la dépendance vis-à-vis des hydrocarbures et le poids des dépenses sociales et sécuritaires sur le budget), la concentration des pouvoirs politiques, économiques et financiers et la vulnérabilité des entrepreneurs vis-à-vis de l'administration (justice, fisc, douanes, etc.) , ce qui bride les investissements, favorise l'informel et l'exode des capitaux et des compétences et instaure une crise de confiance. Par ailleurs, la rente pétrolière a favorisé davantage l'émergence d'un l'Etat-Providence au lieu de construire une économie propice à l'apparition de véritables entrepreneurs, ce qui a eu pour conséquence l'instauration d'une économie de marché bridée et le développement de situations de rentes. Nul ne peut nier les dépenses faramineuses engagées par l'Etat, notamment pour améliorer l'environnement physique des affaires, même lorsqu'on y décèle quelques gaspillages, mais force est de dire qu'il faut adopter un nouveau paradigme en passant effectivement d'une économie administrée à une économie entrepreneuriale.
La nouvelle assemblée nationale ne doit pas se contenter de la seule adoption de textes. Les nouvelles instances doivent relever le défi d'une économie moins dépendante du pétrole. Il nous semble que cet objectif ne peut être gagné que par un secteur privé dynamique soutenu par des politiques et un cadre institutionnel appropriés. On ne doit pas confondre entre le marché et l'Etat, qui sont complémentaires, mais chacun doit opérer dans les limites de ses frontières d'efficience. On doit adopter une démarche pragmatique : promouvoir les filières porteuses dans les différents secteurs de l'économie nationale et améliorer le climat des affaires (réduction des coûts des transactions notamment). Cela nécessite la libération des énergies créatrices et des politiques et des institutions appropriées, y compris en accélérant notre adhésion à l'OMC pour nous forcer à adopter les standards internationaux dans la gestion de notre économie. La rente pétrolière n'est pas une malédiction car la malédiction ne peut résider que dans la manière dont cette rente est gérée.
Posté Le : 28/05/2012
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : Safia Berkouk
Source : www.elwatan.com