Algérie - Sidi Khaled

Hizia une histoire de musique nomade



Hizia une histoire de musique nomade
Le texte de Benguitoun est ‘beau’ et Khelifi Ahmed en a donné la preuve – des années après son oncle maternel - en amenant Hizia des fins fonds de son oasis de Sidi Khaled jusqu’aux portes de l’Europe, dans la célèbre salle parisienne de l’Olympia, et lui donna un écho et une dimension universels...


Nous préférons donner la parole à un connaisseur de la musique bédouine, A. Hachelaf, en citant le contenu de son texte que nous avons pu trouver sur internet et qui a servi de présentation à la jaquette du CD Musique et Tradition ‘ La Musique Saharienne ’ (éditions des Artistes Arabes Associés).

« La musique sahraoui (saharienne) est la plus répandue du fait qu'elle concerne une population qui occupe les hauts plateaux, de l'est à l'ouest du pays, et une grande partie du Sahara; elle couvre exactement le terrain de parcours des tribus nomades d'origine arabe.

Basée sur la poésie des différentes tribus, la chanson saharienne dont les origines remontent aux sources de la musique arabe s'apparente au sawt hidjazien et au hida (ou hoda) antéislamiques - une mélopée de conducteurs de chameaux - et est ainsi la musique la plus authentiquement arabe de toutes celles que l'on connaît en Algérie.


Le chanteur, qui chantait ses propres poèmes, s'appelait fahsi, déformation du mot fassih (éloquent). Tous les chanteurs du début de notre siècle étaient, comme leurs prédécesseurs, des poètes. De la fin du 17ème siècle nous pouvons citer Hadj Aissa Laghouati, un des plus grands du genre, spécialisé dans le madih (chant à la louange du Prophète ou des saints de l'islam). On le cite aussi parmi les poètes soufis (mystiques). Plus près de nous, citons les cheïkhs Smati et Benguitoun - contemporains de l'émir Abdelkader - El Arjani et Mohamed Belkhir* (ce dernier était, à la fin du siècle dernier, le chantre de la tribu des Ouled Sid'ech Chikh). Au début de notre siècle Abdallah BenKerriou et Hadj Aissa Ben Allal. Tous ont laissé d'importants recueils de poèmes dont une grande partie est chantée régulièrement par les chanteurs du genre malhoun (poésie populaire). Ces poèmes sont aussi chantés dans les genres voisins comme le gharbi. Le cheïkh Hamada n'a-t-il pas chanté, dans son propre style, le plus grand succès du genre sahraoui, 'Gamr ellil ' d'Abdallah Benkerriou, comme s'il voulait nous prouver qu'il n'y a aucune frontière ni entre les genres bédouins ni entre ces genres et le hawzi ou le chaâbi qui découlent, eux, de la musique andalouse.

Le chant sahraoui se caractérise par une introduction en solo ponctuée par des vocalises sur les deux syllabes 'Aï ! Aï ! ' extériorisant la douleur physique ou morale du poète. La métrique de la poésie sahraouie offre au chanteur une grande liberté qui lui donne la possibilité de mettre en relief son esprit d'invention et son habileté d'improvisateur bien que son improvisation se fasse dans le cadre fixé par la tradition où entrent en jeu le genre du poème, sa construction, et même le rythme sur lequel il va se développer. Nous pouvons citer quelques-uns de ces cadres ou modes, très différents les uns des autres, qui donnent aux professionnels aussi bien la tonalité que le rythme sur lequel doit se chanter le poème. Citons parmi les modes le srouji, mode utilisé dans 'Guelbi tfakkar orban rahhala ' de Hadj Aissa Ben Allal, le ghates, utilisé dans 'Ya cham'a' d'El Arjani, le saihi, le babouri. Il existe encore d'autres modes qu'il serait trop long d'évoquer dans ce modeste travail de vulgarisation.

La structure du poème (qacida) et son contenu littéraire confirment l'origine essentiellement arabe du chant sahraoui. [voir la traduction du poème de Hizia faite par C. Sonneck et aussi par Souhel Dib].

Le poème débute en général par l'évocation d'un campement abandonné comme dans les plus beaux poèmes de l'époque antéislamique, ou bien par un tableau de la vie quotidienne du nomade, ou encore par l'éloge de la tribu et de ses hauts faits. Viennent ensuite le portrait de la bien-aimée ou la description d'un festin dans une pure tradition bacchique qui souligne la grande générosité de la tribu pour ses hôtes. Autre début possible: une supplique adressée au Prophète ou au saint patron de la région afin qu'ils aident le poète à parfaire son oeuvre. Cette façon de commencer un chant sahraoui est empruntée aux chants du genre madih, chants très rythmés utilisés dans les confréries mystiques pour les danses extatiques.

Cette musique utilise les instruments traditionnels de la chanson bédouine: les différents types de flûte de roseau, longue pour les hommes, courte pour les femmes (plus proche de leur tessiture vocale) - les flûtes vont généralement par paire, l'une jouant la mélodie, l'autre faisant le bourdon, une note tenue donnant la note principale du mode choisi; pour la partie rythmée qui vient en fin de qacida, on utilise les tbal-s (tambours à deux membranes, frappés par deux baguettes), les bendir-s (tambours à une membrane, frappés par les mains). Pour le chant bédouin des régions ouest, on utilise en outre le gallal (tambour long à une membrane dont le corps est creusé dans un tronc d'aloès.). A la place des flûtes on peut utiliser des ghaïta-s (sortes de hautbois) quand il s'agit de chants de fêtes religieuses ou profanes et surtout pour rythmer les innombrables danses sans lesquelles une fête ne serait qu'un spectacle sans liesse populaire. Citons le saâdaoui, le heddaoui et l'abdaoui, du nom des marabouts (saints) devant les tombeaux desquels ces danses ont été créées, le mertah (danse paisible), le baroudi (danse des fusils), le khayyali (danse des cavaliers), le tawsi (danse du paon, typiquement féminine, inspirée de la démarche de ce beau volatile).


[...] Des versions écourtées de ce même poème (Hizia de Benguitoun) avaient [...] été enregistrées antérieurement, la première par El Hadj Benkhlifa, l'oncle maternel de Khelifi Ahmed, déjà dans la carrière au début des années 30, la seconde dans les années 40, par une autre célébrité de la chanson sahraoui Smaïn Elboussaâdi. Il aura pourtant fallu attendre la fin des années 40 pour voir enfin, comme il se doit, populariser par Abdelhamid Ababsa une oeuvre d'un si grand intérêt en ce qui concerne la littérature populaire et l'histoire des moeurs en usage au début du siècle dernier.»

* Ce poète fut exilé et emprisonné en Corse par l'armée coloniale de l'époque (cité par Ahmed el Amin 'Hizia : l'épopée algérienne' Dar el Misbah, Alger 1991). D'autres poètes de cette époque furent exilés en Nouvelle Calédonie (C. Sonneck 'Chants arabes du Maghreb' Maisonneuve, Paris 1902)


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