Algérie

Histoires vraies La marabunta (3e partie et fin)



Résumé de la 2e partie - Meffertz, qui pensait venir à bout de cette invasion de fourmis, se rend compte de son impuissance...
Les mots du commissionario lui reviennent à l'esprit : «C'est comme l'eau, mais c'est pire, car c'est indivisible.»
Maintenant, Gunter a vraiment mal au ventre ; il sait que ses chances de sauver ses hommes et de s'en sortir lui-même sont en réalité très faibles. «Il faut tout inonder, se dit-il, c'est le seul moyen. On n'aura qu'à se réfugier avec mes hommes sur la terrasse du rancho.»
Seulement pour ouvrir à fond les vannes qui laisseront les eaux du fleuve envahir l'ensemble de la propriété, encore faut-il traverser un vaste terrain désormais investi par la marabunta. Gunter connaît assez les dimensions de sa propriété pour savoir qu'il y a plus de deux kilomètres à parcourir en territoire hostile. «Je vais tenter l'expérience moi-même, se dit-il. C'est le genre de tâche qui ne se délègue pas.»
Gunter se harnache pour la circonstance: bottes de cuir, plusieurs épaisseurs de chemises, gants qui montent très haut sur l'avant-bras. Dans le moindre interstice, il bourre des chiffons imbibés d'alcool. Enfin et surtout, il protège ses yeux derrière des lunettes hermétiques, se bouche les narines et les oreilles avec du coton, et demande à ses hommes de l'asperger d'essence. Avant qu'il ne sorte :
' Bois cela, lui dit un vieil Indien en lui présentant un breuvage amer, censé l'immuniser contre l'acide formique.
Ainsi paré, Gunter Meffertz s'élance. Il court à grandes enjambées, répugnant à toucher le sol couvert de fourmis grosses comme le pouce. Mais le chemin est long ; le coureur ne tarde pas à être recouvert d'insectes qui commencent à se glisser sous ses vêtements et à le mordre. Les premières morsures font à Gunter l'effet d'un coup de poignard, tant il espérait pouvoir leur échapper tout à fait. Mais au bout d'un moment, il finit par ne plus les sentir. L'écluse n'est pas très loin, à trois cents mètres tout au plus. Il ne faut pas qu'il se laisse ralentir par la masse de fourmis qui l'a maintenant recouvert.
Quand enfin il touche au but et tourne la manette, Meffertz a tellement de fourmis devant les yeux qu'il ne peut même pas contempler l'effet de sa man'uvre. L'eau se déverse pourtant à gros bouillons dans le canal, avant d'envahir lentement la plantation. Cette fois l'élément fourmi trouve en face de lui un autre élément à sa taille ; la marabunta ne tardera plus à battre en retraite ' ou tout au moins à continuer sa progression vers des terres moins hostiles.
Cela, Gunter ne le verra jamais. Il essaie désespérément de se débattre sous le poids sans cesse croissant des fourmis, mais ses déplacements sont entravés par une masse vibrante et adhérente, qui le dévore à présent tout vif. C'est vrai : Gunter Meffertz a sauvé ses hommes ; mais il n'est plus là pour en remercier le ciel ' son corps lui-même n'est plus qu'une forme sanguinolente sous la masse des fourmis guerrières. Demain, on retrouvera son squelette, blanchi, parfaitement nettoyé ' le squelette d'un homme trop sûr de lui.


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