Au début de l'histoire, maman est à Las Vegas, Nevada, papa est à Rush Spring, Oklahoma. Autrement dit presque à l'autre bout de la planète Amérique. Maman est partie un jour de 1989, en ayant assez de recevoir des coups d'un mari toujours saoul, et laissant au foyer de Rush Spring ses trois petits garçons et sa petite fille. Herman a, à ce moment-là, quinze ans, James douze ans, Jack huit ans, et la petite s'ur Sissy dix ans.Maman travaille au service de sécurité d'un casino, depuis son divorce, et à Rush Spring personne ne s'est demandé pourquoi elle n'avait pas obtenu la garde de ses enfants. Elle est partie ailleurs, point. Les gens dans cette petite ville perdue, entourée de champs de pastèques, ont la vue courte, à force de ramasser des pastèques. C'est dur le ramassage de la pastèque, et Rush Spring est la capitale de la pastèque. C'est dur et ça paye mal. Donc les gens vivent mal. Donc les enfants vivent mal. Il y a un shérif à Rush Spring, il y a des maisons, des vraies en bois avec des terrasses, des fauteuils en rotin, et une vraie école. Herman, James, Sissy et Jack vont à cette école. Ils sont sages, ils apprennent bien, ils sont silencieux, et les deux aînés surveillent particulièrement les deux plus petits. Lorsque le bus vient les prendre au bout du champ de pastèques, ils font monter d'abord Sissy, puis Jack, les installent et ne leur lâchent pas la main jusqu'à Rush Spring. Pareil au retour. Personne n'a rien à dire à leur propos. Et pourtant. Tout le monde sait qu'ils habitent un morceau de terrain vague coincé entre les pastèques. Que leur père est alcoolique, brutal, ignorant et imbécile. Qu'il a pour principale activité de liquider un stock de boîtes de bière, de tirer sur tout ce qui bouge au ras du sol, chiens et chats errants, souris et mulots, de foncer dans la barrière du voisin s'il a un différend avec lui.
Le foyer des quatre enfants est un mobile home tout confort. Réfrigérateur, couchettes, télévision. Un style de vie que nombre d'Américains moyens affectionnent. Il suffit de trouver un terrain pour l'installer, et les déménagements sont rapidement faits lorsque les nécessités du travail contraignent une famille à vivre ailleurs. Les parents de Lonnie ont généreusement donné à leur fils un bout de terrain vague, il y a mis un mobile home, mais... n'a pas jugé utile d'y faire installer, comme les autres, le téléphone et l'électricité, ainsi que l'eau courante. Si bien que le réfrigérateur marche sur une batterie approximative, et que les quatre enfants se lavent dans des seaux d'eau puisés à la fontaine principale.
Le terrain est clos par une barrière de bois hérissée d'os et de têtes de cerfs, une porte d'accès est ornée de deux têtes de poissons-chats desséchées et sinistres. Cela est l'univers de Lonnie Dutton. Et l'univers de Lonnie Dutton est réservé à Lonnie Dutton. Personne n'a le droit d'y pénétrer.
Alentour, les voisins entendent régulièrement des coups de carabine, ils entendent aussi les enfants pleurer. Pourtant nul n'intervient. L'homme fait peur. Il a toujours été violent. Même enfant, il se battait avec tout le monde, sa s'ur aînée le raconte volontiers. À l'école, le directeur n'a jamais tenté d'interroger les enfants après avoir repéré sur un bras ou une jambe des traces d'ecchymoses. Il n'a jamais rien soupçonné, rien senti, d'ailleurs les enfants ne se plaignent pas et ils sont d'une extrême tranquillité. (A suivre...)
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Posté Le : 24/09/2013
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : Pierre Bellemare
Source : www.infosoir.com