Messieurs, le maître du jeu !
Dans la pièce sombre, une voix jeune et emphatique vient de résonner. On n'y voit pas à deux mètres, tant à cause de la fumée épaisse que d'un éclairage tamisé de couleur rouge qui donne aux lieux une ambiance étrange. On hésite entre la boîte de nuit bon marché et le décor pour film d'épouvante.
Et c'est cette dernière hypothèse qui semble la bonne, car l'arrivant est vêtu d'une cape noire à col blanc relevé en pointe, qui lui donne des allures de Dracula. Comme le comte de Transylvanie, il a des cheveux très bruns plaqués et brillants... A peine a-t-il prononcé sa phrase qu'un disque, placé sur une puissante chaîne stéréo, fait entendre une musique guerrière chantée en allemand : l'hymne de la Waffen SS...
Ils sont six, entre seize et dix-huit ans, à l'écouter, dans un silence religieux, autour du personnage costumé en vampire. La sono lance à plein régime ses incantations nazies. Bien qu'il soit plus de minuit, aucun des jeunes gens ne s'inquiète des réactions des voisins. Il n'y a pas de voisins dans le quartier résidentiel de Chamartin, le plus chic de Madrid. Ou, plus exactement, ils sont si loin, par-delà les jardins qui entourent les luxueuses villas, qu'on peut tout se permettre.
Il n'y a pas de parents à craindre non plus. Ceux de Javier Rosado, dix-huit ans, l'habitant des lieux et celui-là même qui est déguisé en Dracula, sont à l'étranger pour leurs affaires. Alors, en attendant, on en profite. Le champagne et le whisky coulent à flots, dans les odeurs de tabac et de cannabis.
Nous sommes le 5 avril 1994... Il y a longtemps que la petite bande se réunit. régulièrement dans cette villa de Chamartin. Ils sont jeunes, ils sont riches, ils s'ennuient, alors ne doit-on pas les comprendre ' Les chants nazis, les vampires d'opérette, l'alcool, la drogue douce, tout cela forme un cocktail inquiétant, mais n'est sans doute pas bien méchant dans le fond...
«Dans le fond» : qu'est-ce que cela veut dire au juste ' Qu'à cet âge tout peut se comprendre ' Mais être jeune, désoeuvré, n'avoir reçu de ses parents aucune éducation morale, pouvoir satisfaire ses moindres désirs grâce à l'argent, est-ce une excuse pour devenir inhumain, est-ce même une explication ' C'est la question que pose cette histoire.
Javier Rosado, le «maître du jeu», est élève de terminale à l'école Saint-Jean de Castille, une des plus huppées et des plus chères de la capitale espagnole. Contrairement à ce qu'on pourrait croire, la situation sociale de ses parents ne l'empêche pas d'être bon élève. Il est même le premier de sa classe. Il n'est guère travailleur, mais il est doué d'une intelligence très vive qui lui permet d'obtenir sans rien faire ou presque les plus brillants résultats. Il est d'ailleurs le seul de la bande à être dans ce cas, les autres étant médiocres ou franchement mauvais, ce qui lui donne sur ses condisciples un ascendant incontestable.
Hautain, cynique, méprisant, Javier Rosado est le maître à penser des six autres. Il joue au théoricien politique ; il se croit génial, alors qu'il ne fait que reprendre l'idéologie nazie la plus éculée. Mais qu'importe : il développe sa pensée dans des termes volontairement choquants, avec des formules à l'emporte-pièce et cela fascine ses camarades. L'un d'eux surtout : Felipe Martinez.
Felipe Martinez, seize ans, élève de seconde, est un beau gaillard athlétique, pratiquant avec aisance plusieurs sports. Mais malgré sa prestance physique, malgré aussi la fortune de ses parents il est le plus riche de ces jeunes gens fortunés -, il est dévoré de timidité. Il est emprunté, maladroit dans ses gestes, il ne sait pas s'exprimer et il est affligé, en outre, d'un léger bégaiement. C'est dire le contraste qu'il forme avec Javier Rosado, qui a été tout de suite son idole, son dieu. (A suivre...)
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Posté Le : 06/03/2012
Posté par : archives
Ecrit par : Info Soir
Source : www.infosoir.com