Algérie

Histoires vraies La sieste clandestine (1re partie)



C'est une tradition : chaque année pendant l'été, les Devalonier quittent Paris pour aller s'installer à la campagne, dans une belle maison de Normandie. Pendant leur absence, les clés de l'appartement sont confiées à une vieille demoiselle habitant deux pièces, au cinquième étage du même immeuble ; et peu dire que Mile Marceline Aubier prend sa responsabilité à c'ur. Tous les matins à 10 heures, elle descend par l'escalier de service jusqu'au deuxième étage ; là, elle déverrouille la porte de l'office et s'immisce avec respect dans l'appartement somptueux et désert. Vite habituée à la pénombre des persiennes fermées, elle vérifie alors que tout est bien en place, aère pièces, nourrit les oiseaux et arrose toute une population de plantes vertes.
Pour Marceline, cette petite tâche quotidienne tient lieu de divertissement estival. Elle la fait durer un peu plus longtemps chaque jour et ne ressort jamais de l'appartement avant midi. A chaque visite, elle s'aventure un peu plus loin dans l'exploration du frais et sombre caravansérail. Chaque année pourtant, il lui faut réapprendre à s'en donner le droit : au début de juillet, Marceline peut à peine s'asseoir au bord des grands canapés couverts de housses brunes ; et c'est tout juste si ses doigts timides osent caresser le clavier du piano de concert, au centre du grand salon. En fin de mois, ces premières réticences ayant disparu, la vieille demoiselle va jusqu'à sortir quelques ouvrages de la bibliothèque, pour les feuilleter à la sauvette, certaine de briser l'interdit. Mais c'est en août seulement que Marceline, plus aguerrie, se permettra d'ouvrir les buffets pour y admirer l'argenterie ' voire, suprême hardiesse, de chiper un biscuit sec dans le grand bocal de la cuisine...
«Aujourd'hui, se dit elle alors qu'elle finit sa tournée d'arrosage en ce mois d'août 1937, je vais m'intéresser d'un peu plus près à la chambre de Mme Deval Monier. Avec toutes ces petites fioles qui encombrent sa coiffeuse, j'en ai bien pour une heure... »
De fait, Marceline s'attarde à observer les festons de l'alcôve, la disposition des luminaires, et bien sûr tous les flacons de parfum. Au milieu de ces trésors, elle remarque surtout une mésange en porcelaine, peinte au naturel ' si fine et si vraie qu'on s'attendrait à l'entendre chanter.
Marceline regarde sa montre et soupire : il est bientôt midi et demi, et elle n'a aucune envie de remonter dans son petit meublé, là-haut sous les toits, en pleine chaleur. «Il fait si bon ici», pense-t-elle en laissant traîner son regard sur une profonde méridienne à la turque une invitation à la sieste. «Après tout, se dit la vieille demoiselle, je peux bien m'y étendre cinq minutes. Personne n'en saura jamais rien.» Et sans pouvoir s'empêcher de jeter autour d'elle un regard inquiet, elle s'assied doucement sur la méridienne, retire ses chaussures et, pivotant, s'allonge mollement au milieu des coussins.
Mlle Aubier ronronne de plaisir et sourit aux anges ; il y avait des années qu'elle ne s'était pas sentie aussi bien.
Un grincement sonore la tire du sommeil. Marceline entrouvre les yeux et, d'un seul coup, se redresse en hâte. Son cour bat fort. Elle tend l'oreille : à n'en pas douter, ce sont les verrous de la porte d'entrée qui travaillent. (A suivre...)


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