Algérie

Histoires vraies Nuit blanche (1re partie)



Histoires vraies                                    Nuit blanche (1re partie)
Mille neuf cent vingt. Haute Savoie. Dans un tourbillon de neige, Marcellin Gratau rentre au chalet après une rapide inspection dans les environs. Sa femme l'aide aussitôt à retirer sa lourde gabardine et ses bottes pleines de neige ; tout cela restera dans le cellier.
' C'est mauvais, dit il. Le vent vient du village.
' Oui, approuve la fidèle Jeanne. On entend les cloches d'ici.
Puis, parlant de leur fils aîné :
' François n'est pas avec toi '
' Il est descendu jusqu'au chemin pour voir s'il est encore praticable. Ça ne servira pas à grand-chose, note bien. L'avalanche ne va plus tarder maintenant...
Dans l'étable voisine, le bétail s'agite, grogne, mugit, comme en été avant un orage.
' Pourvu que ça ne surprenne pas François tant qu'il est dehors, dit la mère, inquiète.
' Non, répond son mari. Il a tout son temps. Nous déjeunerons dès qu'il rentrera.
Le montagnard vient se réchauffer dans la salle ; il s'approche de l'âtre pour saluer sa mère, la vieille Amélie. Celle-ci a du mal à se faire entendre des deux plus jeunes enfants : Paul et Claudine passent leur temps à se chamailler.
' Ça suffit ! lance Marcellin. Respectez un peu votre grand-mère !
Jeanne apparaît à la porte du cellier :
' Voilà François ! dit elle.
Le fermier secoue la tête et vient s'asseoir à table, bientôt rejoint par la grand-mère et les enfants. Il le sait, sa femme n'a jamais été rassurée depuis qu'ils ont repris la ferme familiale, en pleine montagne, loin du village.
' L'avalanche va se déclencher ! dit François en entrant, le visage couperosé. C'est une question de minutes.
Son père approuve d'un signe. Tout le monde se recueille à présent pour le bénédicité. Très doucement au milieu du silence, la vaisselle se met à tinter sur la table. Puis on entend vibrer le lustre et les vitres des fenêtres. Personne ne bronche ; chez les Gratau, c'est une question d'habitude : le couloir d'avalanche passe si près de la ferme que tous les ans, ou presque, ils la sentent passer, là, juste derrière, le long de la forêt de sapins.
' C'est la fin du monde ! lance Paul, le plus jeune fils, en éclatant de rire.
Et il effraie sa s'ur en s'agitant. La petite fille laisse échapper un cri et court se réfugier dans les jupes de sa grand-mère.
' Paul ! C'est bientôt fini '
La tension est à son maximum. Les vibrations se font sentir beaucoup plus nettement que d'habitude. Dans leur étable, les b'ufs mugissent plus que jamais. Tout tremble à présent de façon impressionnante. Jeanne regarde avec anxiété son fils François, qui, lui-même, interroge son père du regard. Les verres se déplacent tout seuls sur la table, et l'on sent partout les trépidations des murs et du plancher. Même Paul s'est assagi ; interdit, il arbore une curieuse grimace.
' Je le sens mal, hasarde enfin François.
' Tais-toi, dit son père.
Mais, avant qu'il ait pu ajouter un mot, la catastrophe survient. D'un seul coup, ce sont des tonnes de neige qui s'abattent sur le chalet, le secouant violemment des fondations à la charpente. En quelques instants, les vitres volent en éclats, et les fenêtres s'obscurcissent tout à fait. Des trombes de neige s'engouffrent par la cheminée jusque dans le foyer.
Les femmes crient, les enfants pleurent ; même les hommes perdent leur sang-froid. On n'entend plus du tout les bêtes ; il est probable que l'avalanche les ait toutes englouties. (A suivre...)


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