Octobre 1991. Les bras chargés de sacs en plastique, Murielle sort de son supermarché habituel. Elle vient de faire ses provisions pour la semaine, en y consacrant un peu plus de temps que prévu : il faut à présent qu'elle se dépêche d'aller ranger tout cela à la maison, si elle veut être à l'heure pour la sortie de l'école. Murielle ouvre le coffre de sa petite voiture et y dépose rapidement les sacs pleins à craquer. Puis elle referme le coffre d'un coup sec et ouvre de grands yeux : à travers la lunette arrière, elle vient de découvrir en effet que son auto est occupée.
«Je me suis trompée de voiture !», pense-t-elle aussitôt.
Mais une rapide vérification lui prouve le contraire. Murielle observe de plus près la silhouette qui a pris place dans l'auto, à la place du passager : une femme assez corpulente, sans doute âgée, et qui ne bouge pas plus que si elle était morte.
Murielle croit entendre Pierre, son mari, tellement plus prudent qu'elle : «Tu verras, lui a-t-il souvent répété, à force d'abandonner ta voiture sans la fermer à clé, il t'arrivera des histoires...» Murielle fronce les sourcils : elle aurait pu imaginer qu'on lui vole sa voiture, mais pas qu'on vienne s'y installer. «Cette femme a dû se tromper», pense-t-elle. Et ouvrant la portière, côté conducteur:
' Excusez-moi, madame, dit-elle. Vous êtes dans ma voiture.
La passagère n'a pas l'air autrement surprise. Elle se tourne un peu et, toujours cachée sous une sorte de grand châle, bredouille quelques mots éraillés, dans une langue incompréhensible. Murielle parvient cependant à comprendre quelques termes :
' Fatiguée... dit par exemple la grosse dame. Fatiguée...
' Je comprends bien, fait Murielle un peu énervée, seulement moi, je suis pressée et je vais devoir y aller.
Renonçant à s'expliquer dans son jargon, la vieille femme sort alors de sous son gilet un petit calendrier publicitaire tout froissé et le tend à la propriétaire de l'auto. Murielle lit le nom de l'annonceur et comprend aussitôt : « Foyer Saint Vincent ». Il s'agit d'une grande maison de retraite, à la sortie de la ville.
' Vous êtes au foyer Saint Vincent ' demande-t-elle.
La grosse passagère hoche la tête avec soulagement.
' Et vous voulez que je vous y conduise '
' Please ! répond l'autre dans son étrange volapük.
' Ça ne m'arrange pas, dit Murielle qui, néanmoins, se sent incapable de refuser ce service à une vieille femme sans doute malade.
«Tant pis, pense-t-elle en démarrant, j'irai directement du foyer à l'école, et j'arriverai juste pour la sortie des petits...» Et jetant un 'il à sa passagère : «Elle doit venir de Roumanie, ou de Bulgarie, par là...» Pleine de bonne volonté, elle tente une fois encore de lancer la conversation :
' Vous venez d'où ' demande-t-elle. De quel pays ' Country '
Bien trop timide sans doute pour oser la regarder, la grosse femme secoue la tête sans dire un mot. «N'insistons pas, se dit Murielle, elle ne comprend rien.» Et pour détendre l'atmosphère, elle allume la radio. La ville n'est pas très grande, et déjà la voiture traverse les faubourgs.
La passagère semble assoupie, et, discrètement, Murielle peut détailler son accoutrement : des bottes en caoutchouc bien usées, de gros bas de laine orange, au moins deux jupes l'une sur l'autre, des épaisseurs superposées de pulls et de gilets et, couvrant toute la tête, une sorte de grand châle russe... (A suivre...)
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Posté Le : 03/10/2012
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : Pierre Bellemare
Source : www.infosoir.com