Algérie

Histoires vraies Duel au soleil (1re partie)


Alain Baude et Paul Rougier ont eu dix ans le même jour, le 5 août 1947. Ils sont tous les deux en classe de septième à l'école communale de Vilaize, un petit bourg du Morvan. Mais là s'arrêtent leurs points communs. Car si Rougier et Baude sont jumeaux astraux et compatriotes, ils sont d'abord et avant tout des frères ennemis. Aussi loin qu'ils puissent se rappeler, ils se sont toujours cordialement détestés. Au point que tous les prétextes sont bons pour se battre, s'affronter, se jauger. Entre Baude et Rougier, la grande habitude, c'est de se lancer des défis. On les a vus monter au sommet d'arbres toujours plus gigantesques et sauter, jusqu'au sol, jusqu'à ce que Baude se casse les deux jambes. Une autre fois, c'est Rougier qui a failli se noyer en essayant de rester plus longtemps que son rival au fond d'une citerne pleine d'eau. Leur dernière trouvaille, ce fut d'entrer dans le pré aux taureaux en faisant leur possible pour en sortir le dernier.
' Tout ça finira mal, leur a dit plusieurs fois M. Loriot, le maître d'école.
Aujourd'hui, le brave instituteur est en train de faire à toute la classe une leçon sur les abeilles. Pour M. Loriot, c'est l'occasion d'intéresser ses élèves à une société animale très complexe. Mais, pour Rougier, il n'y a d'intéressant que ce qui permet de se mesurer à Baude. Il se penche sur l'épaule de son voisin.
' Fais passer à l'autre imbécile que moi, les abeilles, elles me piquent pas !
Le défi passe de place en place, par chuchotements. M. Loriot s'impatiente :
' C'est bientôt fini, ces messes basses '
Mais Baude a pour principe de ne jamais laisser une provocation sans réponse :
' Réponds-lui que les abeilles, je les connais mieux que lui.
La dépêche est répercutée dans le sens opposé. Et Rougier s'entend répondre :
' Il dit qu'il connaît les abeilles mieux que toi.
Rougier laisse échapper un grognement :
' Dis-lui que si c'est un homme, je l'attendrai demain après-midi aux ruches de la Pépette.
La Pépette, c'est le surnom de la Jeanne Haudetier, une brave femme du village qui entretient des ruches un peu isolées, sur les hauteurs de Vilaize.
Le défi est transmis et le lendemain jeudi, jour sans école, les deux têtes brûlées se retrouvent après déjeuner à l'orée du fameux rucher. Le temps est superbe, c'est une de ces rares journées d'octobre à rappeler les lumières somptueuses de l'été.
Rougier est déjà entré dans la petite propriété de la Pépette ; il tourne autour des ruches d'un air détaché, sans doute plus par bravade que par réelle familiarité. Baude est plus prudent ; grimpé sur la murette qui sépare le rucher d'un potager à l'abandon, il observe d'un peu loin la configuration des lieux. Le terrain comporte une dizaine de ruches en assez mauvais état, dont sept ou huit seulement paraissent encore occupées. Les deux qui se trouvent le plus près de la murette du potager sont aussi les plus grosses ; elles doivent contenir, à elles seules, plusieurs milliers d'abeilles.
' Qu'est ce que t'attends ' T'as peur '
«Ça y est, se dit Baude, il commence son cinéma.»
Il faut dire que les deux garçons sont aujourd'hui très entourés ; la moitié des gamins de la classe sont venus assister à l'affrontement des frères ennemis ; même ce fayot d'Hervé Moine, le premier de la classe, toujours prêt à condamner leurs affrontements, a fait le déplacement jusqu'au rucher de la Pépette.
' Comment qu'on fait ' demande Baude. T'es prêt à t'exposer '
' Qu'est-ce que tu crois que je fais depuis un quart d'heure ' (A suivre...)
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