Algérie

Histoires vraies



Histoires vraies
Nous sommes à Paris, pendant l'hiver 1954. Deux gardiens de la Santé échangent quelques commentaires, après avoir apporté son repas au détenu 2310, en internement préventif dans le quartier des mineurs.
' Il en a de l'appétit, celui-là !
' Dame, il a quinze ans...
' N'empêche qu'on le nourrit aux frais du contribuable. Engraisser du gibier de potence, je te demande un peu !
' Tu sais ce qu'il a fait, toi '
' Il a tué un petit vieux qui promenait son chien.
' Pour lui prendre son fric '
' Même pas. Sans raison. C'est ce qu'on dit...
' Alors, il est dingue.
' Non. Sans quoi, il ne serait pas chez nous. Il a le mal dans le sang, voilà. De la graine de guillotine, je te dis !...
«Graine de guillotine», «gibier de potence» : Georges Garnier, quinze ans, n'a cessé d'entendre ce genre d'expression dans la bouche des policiers depuis son arrestation. Et, après tout, cela semble mérité. C'est vrai, comme l'a dit le gardien, qu'il a tué sans raison un retraité qui sortait son chien et c'est tout aussi vrai qu'il n'est pas fou : le psychiatre qui l'a examiné l'a déclaré parfaitement sain d'esprit.
Alors qu'est-ce qui a pris à ce gamin parisien de quinze ans ' A-t-il vraiment le mal dans le sang '... La seule manière de le savoir est de connaître son histoire.
Raymonde Garnier a de la chance dans son malheur. C'est, en tout cas, ce que lui disent les locataires de cet immeuble bourgeois de la rue de la Bienfaisance, dans le vIIIe arrondissement. Raymonde est veuve de guerre, avec deux enfants à charge, et c'est à ce titre qu'elle a obtenu son poste de concierge.
Mais si le malheur de Raymonde Garnier est incontestable, sa chance est moins évidente. Est-ce que la perte de son mari a été compensée par son emploi de concierge ' A cette question, le petit Georges Garnier répond sans hésitation «non.»
Il n'a pas connu son père. Il n'avait que quelques mois quand celui-ci est parti pour la guerre, en 1939. Il a été fait prisonnier et il est mort en captivité... De ses premières années d'existence, Georges Garnier ne garde qu'un souvenir confus. L'exode l'a conduit avec sa mère à Saint-Etienne. Il se rappelle vaguement une ville triste et froide. C'est là que lui est venu un petit frère. De qui était-il ' Il ne l'a jamais su. Il ne se souvient pas d'un homme habitant avec eux et sa mère ne lui a rien dit...
Toujours est-il qu'à la Libération, Raymonde Garnier et ses deux fils rentrent à Paris. Elle végète quelque temps avec eux et quand, au milieu de l'année 1945, elle est informée officiellement du décès de son mari, elle se voit attribuer cette loge de concierge... Georges a six ans et il découvre la «chance» qui est la sienne.
Si l'immeuble est bourgeois, bâti en pierre de taille, avec tapis rouge dans l'escalier, la loge n'est qu'un réduit : une seule pièce de quatre mètres sur quatre, avec un cabinet de toilettes. Les WC proprement dits sont dans la cour et il faut la traverser entièrement pour s'y rendre. Ils sont quatre à vivre dans la loge : Raymonde, quarante et un ans à l'époque ; un nouveau venu : son amant Sylvestre, âgé de vingt ans de moins qu'elle, qui serait, selon lui, un des responsables de la Résistance parisienne ; le jeune frère de Georges, prénommé Joël, à présent âgé de quatre ans, qui se révèle, en prenant de l'âge, handicapé mental et Georges lui-même.
Si dans la journée tout se passe à peu près convenablement, la nuit, la cohabitation dans la loge devient un enfer. (A suivre...)




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