Algérie

Histoires vraies



Histoires vraies
Joseph a des problèmes. Joseph est mal dans sa peau. Joseph va faire une bêtise, une de plus en ce beau jour d'avril 1993, dans le doux pays de Vendée, paisible entre tous. Pourtant Joseph est, en ce moment même, assis dans une cellule de l'abbaye de M., abbaye cistercienne où, depuis neuf cents ans, des hommes cherchent à rapprocher l'humanité souffrante de Dieu par leurs prières, par leurs humbles travaux, par leur silence, par leur dénuement... Joseph, cependant, n'est pas bénédictin. C'est un ouvrier, un menuisier de profession. Célibataire, âgé de trente-neuf ans, Joseph souffre depuis plusieurs années, depuis son enfance, d'un état dépressif. Il en souffre très exactement depuis l'âge de onze ans, quand son père meurt brutalement. Cette mort qui le touche de si près l'abat à un tel point que l'idée même de mort devient obsédante chez ce gamin jusque-là pourtant si gai et plaisant.Après avoir terminé ses études primaires, Joseph entre en apprentissage chez son oncle Fernand. Après le décès du père, Louise, la mère, continue à s'occuper de ses enfants avec tendresse. Tendresse qu'ils lui rendent bien. D'autres membres de la famille, d'ailleurs, demeurent tout près, la tante Berthe, s?ur de Jeanne. Le groupe familial reste soudé. Joseph pourrait vivre heureux : il n'est pas vilain garçon, il est sérieux, gentil, calme. Mais une mauvaise étoile le rend victime de cette obsession : la mort, le grand saut dans le vide auquel nous sommes tous condamnés. Après ' Quoi ' Où ' Questions métaphysiques sans doute trop élaborées pour les capacités intellectuelles de Joseph.Quand vient le moment d'entrer dans la vie professionnelle, Joseph, menuisier compétent, choisit d'aller, en octobre 1989, se présenter à l'abbaye cistercienne de M. Les moines l'accueillent à bras ouverts, d'autant plus que, au fur et à mesure que les jours passent, Joseph se révèle tout à fait en accord avec la vie de la communauté. Comme les moines il se lève tôt, comme eux il obéit aux directives du père supérieur.Il n'envisage pas d'entrer dans les ordres, il se contente de participer aux travaux agricoles de l'abbaye, d'exécuter les travaux nécessaires, de mettre ses capacités de bricoleur au service des autres. Les moines, enchantés de Joseph, envisageraient volontiers qu'il devienne l'un des leurs à temps complet. Mais il n'en est pas question. Joseph, pour l'instant, est logé dans une vieille caravane posée sur des cales, le long des murs de la communauté.Toute la semaine il vaque aux occupations qu'on lui confie. Il s'est fait un ami, un autre ouvrier travaillant lui aussi pour l'abbaye. Mais ce collègue, Rémy X., ne peut guère aider Joseph à s'épanouir. Traumatisé par la guerre de 39-45, il est muré dans le silence. Silencieux, replié aussi sur lui-même. Les frères remarquent, à divers petits incidents, qu'il souffre d'une certaine fragilité nerveuse, qu'il n'est pas bien dans sa peau. Ils essaient de l'aider à se trouver, à retrouver sa joie de vivre. En vain, semble-t-il.Chaque fin de semaine, Joseph, quittant la communauté, se rend chez sa mère, à vingt-cinq kilomètres, au volant de sa petite Renault. Dès qu'il arrive, après avoir donné à sa mère un baiser affectueux mais rapide, Joseph va s'enfermer dans sa chambre avec son cocker, le fidèle Ernest, qui, lui aussi, partage toute la semaine la vie des moines. Là, couché sur son lit, silencieux, Joseph regarde les programmes de la télé. Au bout d'un moment il se lève, saisit une carabine 22 long rifle qu'il conserve précieusement en souvenir de son père, et sort de la maison en déclarant : «Je vais faire un carton.» (A suivre...)




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