Algérie

Histoires de «digoutage»



Les «jeunes» ont commencé à s'ennuyer depuis longtemps mais au moment où se passait cette histoire, on s'ennuyait moins que maintenant. On n'arrête pas le progrès, n'est-ce pas ' Il y a trente ans donc, peut-être un peu plus, une jeune fille, alors lycéenne du côté d'El Harrach, nous racontait. C'était la fin de l'année scolaire et il faisait déjà très chaud. A l'époque, on ne parlait pas trop de la couche d'ozone mais le soleil était là. La jeune fille sortait donc du lycée et attendait le bus à l'arrêt de bus, puisqu'on ne peut pas attendre un bus dans une station de taxis, c'est connu. Elle avait chaud, elle avait soif mais elle patientait, parce qu'elle ne pouvait pas faire autrement. D'un pas tranquille, sans le moindre signe de nervosité agressive, un garçon, plus jeune qu'elle mais forcément plus fort, arrive à sa hauteur et lui met une gifle qui lui a fait voir un million d'étoiles. Par bonheur, un policier qui se trouvait dans les parages met la main sur l'agresseur et lui demande d'expliquer son geste. En guise d'explication, le policier a eu cette réponse : j'étais dégoûté !Dans ce hameau des Hauts-Plateaux, il fait plus chaud qu'à El Harrach. On s'ennuie aussi plus mais ce n'est pas grave, on ne le sait pas. Alors on passe le temps avec les moyens du bord. Là-bas, il n'y a ni moyens ni bord mais on ne peut rien contre les abus de langage. Dans ce bled oublié de Dieu et de beaucoup de ses hommes, il y a un champ plein de trous. Allez savoir pourquoi les trous ont toujours été fascinants. Allez savoir pourquoi ils ont attiré les hommes, parfois au péril de leur vie.
Dans ce hameau des Hauts-Plateaux, les petits trous au bord de minuscules talus sont habités par des scorpions. Alors, les enfants allaient à la chasse au scorpion quand ils s'ennuient. Comme ils s'ennuient même quand ils dorment, l'activité est permanente. Les enfants introduisaient des brins d'herbe dans les trous, les scorpions s'y accrochaient et on les tirait d'un mouvement sec de leur cavité.
L'ami qui nous racontait ça récemment disait que jamais un chasseur de scorpions n'a été piqué. Les scorpions devaient s'ennuyer aussi. Mais c'est connu, ils ne piquent pas quand ils s'ennuient mais quand ils sont provoqués.
Quelque part dans le sud du pays, là où il fait tellement chaud qu'on croirait que c'est tous les jours l'anniversaire d'Abou Lahab, des jeunes sont dégoutés. Dans cette contrée où il n'y a que du pétrole, on s'ennuie à plein temps. Quand on n'est pas dans le pétrole, on est en CDI dans l'ennui. On n'a pas besoin de train, alors on caillasse le train. Comme on gifle une lycéenne dans un arrêt de bus, comme on chasse des scorpions quelque part dans les Hauts-Pateaux.
S. L.


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