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Histoire, stars et bons sentiments : le trio gagnant des agences de pub Multimédia : les autres articles



Histoire, stars et bons sentiments : le trio gagnant des agences de pub                                    Multimédia : les autres articles
Cinquantenaire de l'indépendance oblige, les agences de communication et des médias sont de tous les plans promotionnels. Peut-on parler de propagande déguisée sous des clips esthétiquement maîtrisés ' Y a-t-il un véritable souci patriotique ou une réappropriation à des fins mercantiles ' Enquête.
Une rue comme les autres. Des enfants jouent aux billes tandis que des vieillards se concentrent autour d'une partie de dominos. Plus loin, deux enfants réparent une mobylette. Une musique entoure délicatement ce microcosme. On y aperçoit un guitariste affublé d'une marinière. Il porte des lunettes noires et s'appelle Baâziz. Soudain, un jeune adulte surgit dans le plan, haut-parleur dans la main en vociférant qu'il est «dans la place». Plus il avance, plus les gens le suivent. Des pêcheurs, vieux et jeunes, d'anciens soldats de la Libération, de belles demoiselles, le peuple algérien suit ce chanteur ambulant. Ils seront rejoints par Baâziz et tous clameront : «Mazal Wakfin» (Encore debout).
Plus loin, dans une autre sphère, et toujours dans une rue. Plus familière celle-là. Nous sommes à Alger. Encore des enfants, la caméra va suivre attentivement l'un d'entre eux. Il court, heureux et fête l'indépendance du pays. Puis le noir & blanc s'échappe au détriment d'une couleur présente, pour rappeler que les années se sont volatilisées. Cet enfant grandit, devient adolescent, jeune adulte et finalement père de famille dans une capitale propre et nette. Il transmet quelque chose à son propre fils (pas de fille '), et l'image finale nous les montre ensemble, la main sur le c'ur. Deux clips promotionnels, deux opérateurs téléphoniques : Nedjma (Mazal Wakfin), Djezzy et une date commémorative : le cinquantenaire de l'indépendance. La messe est dite.
Elan patriotique
Karim Yermeche est manager général au sein de Lotus Conseil, une agence de communication et des médias située à Kouba. Selon lui, ces actes promotionnels ne sont pas si récents que ça : «La commémoration des grandes dates est une tradition qui remonte aux premières heures de l'indépendance. Ce n'est d'ailleurs pas une spécificité de notre pays, car ce type de célébration est un élément qui contribue à fédérer une nation autour de valeurs communes. Que des annonceurs s'associent à ce type de célébration à travers des campagnes conçues et diffusées à cet effet, est en revanche plus récent. On peut estimer à une dizaine d'années l'émergence de ce nouveau phénomène, qui coïncide notamment avec la libéralisation du secteur des télécoms et l'arrivée de grands annonceurs sur le marché.»
Le secteur des médias n'est plus aussi figé que dans les années 1980, voire 1990. Avec l'avènement des nouvelles technologies, l'accès démocratisé à internet, quelque chose change dans la perception du public face à certains évènements historiques. Parfois le «moderne» peut aussi servir à déguiser une idée totalement épidermique : «Je parlerai plutôt d'élans patriotiques ou nationalistes, interrompt Karim Yermeche. L'annonceur aspire à renforcer le lien qui le lie à la population. L'idéologie me semble assez peu présente, c'est plutôt le pragmatisme qui prévaut. »
Moment de joie
A travers ce type de communication, l'annonceur ne doit pas espérer autre chose, que des retombées en termes d'image de marque qu'il ne pourra d'ailleurs mesurer que sur le moyen terme. Il est difficile aujourd'hui de mesurer le degré d'impact auprès du public en raison de l'absence d'étude post'test publicitaire pour évaluer l'impact de la communication sur l'image de marque des trois opérateurs, ainsi que sur le niveau de compréhension, d'appréciation et d'identification du message. Yermeche renchérit : «Chaque opérateur a opté pour une stratégie et une communication différente à l'occasion de cette célébration. Mobilis a choisi d'organiser un concert géant au c'ur de la capitale dans la nuit du 4 juillet, qui a regroupé la nouvelle scène musicale algérienne avec, en tête d'affiche, le groupe toulousain Zebda, des Algériens de l'immigration. Neghmet el houria fut un moment de divertissement et de communion collective. Observer à minuit tapante plus de 10 000 personnes entonner l'hymne national comme une seule personne, est un souvenir marquant. Notre peuple a besoin aujourd'hui, plus que jamais, de vivre et de se fédérer autour de vrais moments de joie.»
De son côté, Karim Yermeche s'interroge aussi sur l'intérêt d'un positionnement qui serait construit autour de l'idée que la fierté de notre pays serait d'être encore debout après 50 ans l'indépendance. «Pourquoi ne le serions-nous pas ' Bien que l'Algérie ait connu des épisodes très difficiles durant son histoire récente, résumer le demi-siècle écoulé à une histoire de survie me paraît assez hasardeux. Il n'est pas nécessaire de chercher dans l'adversité les sources de notre fierté collective.» Sofiane, expert en nouveaux médias, s'interroge lui à propos des symboles utilisés par les agences de pub : «Je pense que c'est un manque d'imagination. La plupart des entreprises ont tellement peur de choquer qu'elles se rabattent sur des symboles éculés. Ces symboles peuvent être très utiles, mais en les utilisant avec subtilité. Ce qu'on remarque, c'est un pseudo-nationalisme exacerbé. Les entreprises pensent que c'est ce que le gouvernement veut voir ; elles se disent qu'il n'y a aucun risque à ressasser cela. Je doute fortement que le commun des Algériens se sente touché par cela.»
Leaders d'opinion
Le manager général de Lotus Conseil juge que l'utilisation de «clichés» est contestable. «Le vrai travail d'un expert du marketing ou de la publicité n'est pas de contribuer à entretenir de vieux 'clichés' désuets mais d'accompagner les évolutions de la société et d'anticiper les nouvelles tendances.» Pour ça, rien de mieux que de faire appel à des visages familiers du grand public. Ils sont la caution d'une certaine Algérie et les annonceurs en ont fait leur sacerdoce. Mais pourquoi ne pas filmer uniquement le «peuple»' Yermeche répond : «Le recours à des 'leaders d'opinion' n'est que l'une des possibilités qui s'offre à nous lorsque nous réfléchissons à la mise en place d'une communication 'corporate' (liée à l'identité de l'agence). Elle permet de faire bénéficier la marque de la notoriété de la ou des célébrités auxquelles elle s'associe.
Toutefois, cela pose d'autres problématiques, notamment en termes de compatibilité entre les valeurs qu'incarne cette personne et celle que revendique la marque. Le moindre couac dans la carrière ou la vie de la star peut avoir des effets néfastes sur le sponsor, note-t-il. L'exemple récent du cycliste Armstrong condamné dans une affaire de dopage et qui a perdu dans la foulée la quasi-totalité de ses sponsors est édifiant. Notre agence privilégie une approche plus 'Consummer centric'. Ce sont les citoyens lambda que nous voulons mettre en évidence. Nous partons du principe que chaque personne peut être un héros au quotidien.» La preuve est faite avec un des clips sur le cinquantenaire sans aucune star. Mais ce n'est pas convaincant pour autant: «La fin est particulièrement affligeante, dans le style nationalisme de base. Le père et le fils, la main sur le c'ur, fiers de leur pays. Ça dégouline de bons sentiments», lance Sofiane.
Yermeche poursuit : «L'annonceur veut s'inscrire dans la 'Grande histoire de l'Algérie'. Il affirme son patriotisme et son attachement à notre pays. Le succès de son approche dépend de sa capacité à donner de la crédibilité à ce qu'il revendique. Quelle est la 'preuve' qui vient justifier cette 'promesse'' Cette campagne a-t-elle amélioré l'image de l'entreprise '»
Grande Histoire
La réponse pourrait être négative : «Certaines entreprises essaient de saisir toute forme de nationalisme pour s'y associer dans l'imaginaire des gens. A mon sens, c'est une stratégie de facilité et court-termiste. La jeunesse est désabusée, elle ne s'attend à rien. Ce n'est pas le rôle des entreprises privées que de lui donner envie d'un futur. Pourquoi devrait-on s'attendre à ce qu'un opérateur de téléphonie vante l'histoire de l'Algérie de cette façon ' C'est très particulier à l'Algérie.» Conclusion : il faut s'attendre à de nouvelles trouvailles sur le créneau nationaliste. Idéologiquement ambigus, voire délibérément nationalistes, ces actes publicitaires sur la «Grande histoire algérienne» ne découlent pas seulement d'une mécanique purement mercantile, mais aussi d'une volonté farouche de redorer le blason d'un pays qui en aurait besoin.
Quitte parfois à convoquer des «people», il y aura toujours une notion de réappropriation constante de la part des agences de communication : «C'est certainement une bonne chose, conclut Yarmeche. Notre pays a besoin de promouvoir les notions de 'citoyen' et de 'nation' auprès du plus grand nombre, afin d'inscrire les comportements civiques comme référence dans notre société. Cela passe par la mise en place de programmes et d'actions qui vont bien au-delà de la diffusion de spots publicitaires. De ce fait, les agences de communication ont leur rôle à jouer dans un processus qui englobe bien d'autres intervenants.»


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