Algérie - Ténès

Histoire. Mythes et légende du naufrage du Banel près des côtes de Ténès.



Histoire. Mythes et légende du naufrage du Banel près des côtes de Ténès.
L’histoire de ’’Mama Binette’’ ou ’’Ima B’net’’, une supposée nonne naufragée près des côte de Ténès (190 km à l’Ouest d’Alger), alors qu’elle devait rallier les Amériques avec d’autres migrants, meuble encore les longues veillées estivales sur les plages de Oued Goussine. Vraie ou fausse légende ?
En fait, c’est l’histoire d’un bateau. Et cette histoire commence le 9 janvier 1802 lorsqu’appareillait du port de Toulon (sud-ouest de la France) le Banel, un lourd bâtiment vénitien battant pavillon français, pour une lointaine destination : Saint Domingue, dans les Caraïbes où Français et Anglais se disputaient l’île.
Avec une escadre de vaisseaux battant pavillon français, le Banel n’atteindra jamais les Caraïbes. Il achèvera prématurément son équipée sur les hauts fonds de la baie des Souilias (Souahlias en arabe), à Oued Goussine, à mi-chemin entre Ténès et Beni-Haoua. L’histoire de ce navire pris dans l’arsenal du port de Venise par Napoléon Bonaparte après sa campagne d’Italie (1796), a nourri de fantastiques légendes dont celle des sept religieuses naufragées et dont le sort aura été scellé sur la plage de Beni-Haoua.
La vérité sur cette saga
En fait, la vérité sur cette saga, qui a nourri les récits les plus fantaisistes autour de ces religieuses et qui a conduit le capitaine Callamand, commandant du navire, en cour martiale dès son rapatriement en France, est que ’’jamais il n’y a eu de soeurs ni de nonnes sur ce bâtiment’’ en partance pour les Amériques, comme le soutient la légende, estime le Frère Yahia, qui a longtemps vécu à ’’Bissa’’, sur les monts entourant la région de Beni-Haoua, et établi actuellement à la Maison Diocésaine d’El Biar, à Alger.
’’Non, tous les ordres religieux nationaux ou étrangers consultés ont répondu par la négative’’, soutient le Frère Yahia à propos des sept religieuses et surtout de ’’mama binette’’ (ou Imma B’net) qui aurait été ainsi appelée par les habitants de la région et aurait même été prise pour femme par un des chefs des tribus locales, les Beni Hijja.
En réalité, ’’Le Banel’’ n’a jamais été un simple bâtiment de transport d’immigrants vers les Amériques, comme le soutient la légende, mais un navire de guerre de l’armée napoléonienne, cinglant toutes voiles dehors, avec une imposante escadre française vers l’île de Saint-Domingue où étaient en mauvaise posture les troupes du 1er Consul de France, Napoléon Bonaparte.
Le consul de France à Alger, Dubois Thainville, écrivait dans sa lettre de protestation au Dey Mustapha, quelques mois après le naufrage du navire sur la baie des Souilias, dans l’actuelle plage de Oued-Goussine (10 km à l’ouest de Beni-Haoua) que ’’le vaisseau français Le Banel portant 200 marins, 529 militaires et 9 femmes, ayant à son bord des munitions de guerre et de bouche, s’est perdu le 25 nivôse de l’an X (15 janvier 1802) sur les côtes de Barbarie’’. Le diplomate français achèvera sa lettre de protestation au Dey d’Alger en précisant que ’’plusieurs naufragés du nombre desquels se trouvent trois femmes, le Comte Noyer, officier, et plusieurs mousses se trouvent encore au pouvoir des Kabyles’’.

Que s’est-il vraiment passé durant cette orageuse nuit du 15 janvier 1802 près des côtes algériennes ?
Mais, que s’est-il vraiment passé durant cette orageuse nuit du 15 janvier 1802 près des côtes algériennes, dans l’actuelle baie de Oued-Goussine ? En fait, ’’Le Banel’’ faisait partie d’un corps expéditionnaire de 20.000 hommes emmenés par trois navires que Napoléon Bonaparte avait envoyé à Saint-Domingue pour mater la rébellion de Toussaint Louverture, un ancien esclave devenu par la suite général de Division.
’’Le Banel’’ avait en fait le seul défaut des navires vénitiens : sa lenteur, sa lourdeur et sa maniabilité difficile par gros temps. Pris dans une violente tempête, l’escadre française a fatalement pris de l’avance sur ce navire qui avait servi à rapatrier des prisonniers français de Malte après ’’la paix d’Amiens’’ (25 mars 1802) entre d’une part le Royaume-Uni et d’autre part la France, l’Espagne et la république Batave.
Distancé par l’escadre et pris dans une violente tempête, son commandant, le capitaine Callamand, qui connaissait parfaitement la topographie de la baie des Souilias, décide de faire échouer le bâtiment sur les hauts fonds sablonneux de la plage de Oued-Goussine, à quelques 10 km à l’ouest du petit village d’alors de Beni-Haoua.
Selon des témoignages, son idée sera, tel qu’il le racontera plus tard en passant en cour martiale, de faire échouer le navire sur les hauts fonds de la baie des Souilias en attendant la fin de la tempête et reprendre la mer pour rejoindre l’escadre.
Mais, ’’les habitants de la région croyaient, en voyant le gros navire français s’échouer sur la baie, sortir ses embarcations et lancer sur le rivage les grappins qu’ils allaient être envahis par les français’’, raconte à l’APS un habitant de Oued-Goussine, membre de la famille Zetoffi.
A ce moment, les gens de la région avaient pensé que le navire français était venu pour conquérir ’’leur pays’’, selon les quelques souvenirs d’alors racontés par la tradition orale. La bataille sera féroce entre les habitants de la région, des tribus berbères des Beni-Hijja et les marins et soldats français.
Très peu de témoignages des habitants de la région seront en ces moments là officiellement recueillis.
Par contre, le consul de France à Alger, Dubois Thainville, écrira notamment ceci, à propos de cette affaire, dans sa lettre au Dey Mustapha :
’’Les rapports qui me sont parvenus sur cet événement (naufrage du Banel) font frémir.’’ Le 29 Messidor ’’An X’’ (18 juillet 1802), Napoléon Bonaparte, arrogant et hautain, menacera dans une lettre virulente le Dey Mustapha d’Alger et lui demande ’’des comptes’’ concernant les marins et soldats restés en vie après la bataille de Oued-Goussine. ’’(à) Du Vaisseau qui a échoué cet hiver sur vos côtes, il me manque encore plus de 150 hommes qui sont entre les mains des barbares’’, écrit le 1er consul de la république française au Dey d’Alger, précisant qu’il envoyait un bâtiment pour ’’reconduire en France les 150 hommes qui me manquent’’.
En fait, Bonaparte menacera directement le Dey d’Alger de venir lui même ’’récupérer son monde’’ s’il ne faisait rien pour retrouver les naufragés. Dans sa réponse, diplomatique, qu’il a envoyée le 12 Août 1802 (13 Rabii Al Thani, l’an 1217 de l’hégire), le Dey Muspatapha écrira que ’’vous réclamez 150 personnes qui ont été, à ce qu’on dit, jetés sur la côte à la suite d’un naufrage’’. ’’Dieu a disposé de leur sort et il n’en reste pas un seul, ils sont tous perdus. Tel est l’état des choses’’, précisera-t-il à l’intention du 1er consul de la république française.
’’Il n’y a jamais eu de religieuses sur le Banel’’, selon le Frère Yahia
En réalité, les trois quart des personnes qui étaient à bord du Banel seront rapatriés en France après avoir été arrêtées et fait prisonniers par le Bey d’Oran, Mohamed Mekkalech (fils du Bey Mohamed Al Kebir qui avait repris définitivement Oran aux espagnols).
Mais, il manquait, fatalement, du monde en pareilles circonstances, notamment des femmes, dont cinq auraient été embarquées sur le Banel à partir d’un navire anglais, le ’’Bull Dog’’ à Malte après l’accord d’Amiens. Et, au fil du temps et de la saga de ce naufrage, ces femmes sont devenues plus ou moins des ’’religieuses’’, et, l’une d’elles nommée ’’Imma B’nett’’ (mère des filles) ou ’’Mama Binette’’ par la tradition orale locale.
’’Il n’y a jamais eu de religieuses sur le Banel’’, affirme, catégorique le Frère Yahia, mais juste un navire de guerre français en partance vers les Caraïbes et qui s’était échoué dans notre région. L’ancre en fonte de ce navire qui aura alimenté bien des légendes et des sagas épiques ou funestes de naufragés, et quelques uns de ses canons qui n’auront jamais tonné dans les Caraïbes sont aujourd’hui parfaitement visibles à moins de cinq mètres de profondeur sur la grande plage de Oued-Goussine, près de la petite anse dénommée par les habitants de ce petit village paisible, sentant bien le pin maritime, le romarin et la lavande sauvage, de ’’Hadjret Kiouane’’ (Rocher de Kiouane). En quittant cette baie magnifique d’où partent les embruns qui font mûrir le bon muscat des monts du Dahra, on ne peut ne pas penser, l’espace d’un instant, fut-il fugace, à toutes ces légendes mystérieuses, fabuleuses, qui meublent encore aujourd’hui les nuits des vacanciers, au détour de certains villages côtiers d’Algérie
A P S .


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