Romain Gary a raconté l'histoire de cet enfant rêvant d'être écrivain, et qui devant trouver le pseudonyme qui le rendra célèbre, se désole de constater que les dés sont pipés et que les noms les plus intéressants comme Honoré de Balzac, Victor Hugo, Alexandre Dumas ou Général de Gaulle, sont déjà occupés. Voilà du moins qui révèle l'importance de ce moment où l'écrivain, qui n'est encore qu'un anonyme écrivant, doit choisir, pour une postérité qu'il imagine généralement plutôt chaleureuse, le nom qui identifiera sa gloire.
Les raisons qui poussent à camoufler son identité première sous ce nom d'emprunt sont multiples et variées. Celles qui incitèrent l'officier Mohamed Moulessehoul à le faire, semblent assez manifestes: D'une part, "entrer en clandestinité" comme il le dit dans une de ses interviews (propos étonnant dans la bouche d'un militaire, quand on y songe!) lui permettra pour le moins d'en finir avec une sorte d'autocensure qu'il perçoit dans ses premiers écrits. Il se doit donc de rompre ave le cadre rigide de la vie militaire. Rupture et non reniement, Yasmina Khadra y insistera chaque fois qu'il le pourra. D'autre part, un peu d'ombre ne peut être que propice à la création romanesque quand l'écriture prend pour champs l'intolérable et l'intolérance.
La décision prise, Khadra se trouve devant le problème de l'enfant de Gary. Quel pseudonyme alors? Yasmina Khadra donnera avec une sorte de ferveur les raisons et les circonstances de son choix: l'amour et le respect qu'il voue à l'épouse à laquelle il a donné son nom, et qui lui offre, en retour, ses deux prénoms, comme pour un nouvel échange de nouvelles alliances. Cela fait partie de ces jolies choses que la vie parfois raconte, et qui vous émeuvent. Mais il est une autre raison, qui se greffe à la première. Prendre un prénom féminin, c'est, pour Mohamed Moulessehoul, exprimer son admiration profonde pour les femmes algérienness, leur courage, et l'espoir qu'elles entretiennent, comme on entretient une flamme, dans un pays desespéré, qui a peut-être sous les yeux, et à portée de main, de purs et hauts repères qu'il ne voit pas.
L'intention est noble, force le respect. Mais le choix de ces prénoms féminins porte en germe un malentendu que Yasmina Khadra ne pressentait apparemment pas. Quand paraissent ces premiers romans écrits en langue française par une Algérienne, c'est l'enthousisasme. Voilà qui révèle, et de quelle formidable et talentueuse façon, la part que veulent prendre les femmes d'Algérie à la vie de leur nation. Las! Mohamed Moulessehoul décide de lever le masque. Etonnement pour ceux-ci, déception pour ceux-là, ( l'histoire était si belle! Avoir pu penser qu'une femme avait porté dans son sein, comme un enfant, cette oeuvre, pour l'offrir comme un espoir à l'Algérie déchirée) et quasiment scandale pour quelques autres. Un homme, passe encore! Mais un guerrier! un officier de l'armée algérienne! On murmure, en France et ailleurs, tant de choses sur le rôle joué par cette armée dans quelques sordides et moyennageux massacres!
Yasmina Khadra, interrogé, rejette avec hauteur l'idée que cette rumeur-là puisse seulement le toucher. On insiste, on le somme presque de se justifier. Yasmina Khadra ne considère pas qu'il doive le faire. Pourtant, pour éclairer une situation qui devient confuse par la force terrible de quelques sous-entendus, d'insinuations plus ou moins ouvertes, il écrira L'imposture des mots qui complète, de manière plus polémique, ce que révélait déjà L'écrivain, la passion pour l'écriture, l'itinéraire dans la littérature de Mohamed Moulesshoul , depuis le temps où il était le matricule 129 à l'école des cadets d'El Mechouar jusqu'à celui où il est devenu Yasmina Khadra .
Dans L'imposture..., Khadra lutte de manière superbe, convoquant ses personnages, les auteurs qu'il aime, et jusqu'au commandant Moulessehoul, les interpellant, dans un tourbillon de dialogues et de commentaires. Il s'agit bien de lutter contre ce avec quoi on prétend terrasser l'homme et l'écrivain. Partout, ou presque, on veut bien admirer la force du texte. On est prêt à admettre la franchise de l'auteur, son honnêteté intellectuelle. Mais de là à ce que tous les soupçonneux rendent les armes, avec chez quelques-uns l'assurance de celui qui, loin des flammes, croit tout savoir des incendiaires, des imprudents et des faux-pompiers, il n'en est pas question!
A dire vrai, les accusations portées contre l'armée algérienne sont gravissimes. Peut-être espérait-on de la part de l'ancien officier une condamnation sans nuances? Or si Yasmina Khadra, dans L'imposture... s'interroge sur le sens et la portée de son oeuvre, sur ses personnages, sur le destin tragique de l'Algérie, il y affirme aussi qu'il n'entend pas cracher sur le soldat qu'il fut. Depuis toujours, il a été du côté des victimes, depuis toujours il a eu la haine des bourreaux. Sa bonne foi, et celle qu'il prête à ceux qui l'interrogent, finiront par dissiper les dernières brumes du malentendu. Il en est convaincu.
Le dernier ouvrage de Yasmina Khadra, La part du mort, a peut-être été un moment boudé par les médias. Injustice qui paraît aujourd'hui réparée (cf notre page d'accueil évoquant les récompenses accordées au livre et à son auteur). Dans une interview accordée au quotidien algérien Liberté au mois de mai 2004, et que nous citons dans notre page "Documents" Yasmina Khadra rappelle ce qui lui paraît essentiel: on ne décide pas de la valeur d'une oeuvre selon des impressions confuses et obscures liées à la contingence, surtout quand celle-ci désempare et désarçonne à ce point. Lui, il se veut écrivain.
Son oeuvre est rédigée pour s'inscrire dans le temps. Si elle vaut quelque chose, demain, on le lira toujours. Sinon... La littérature est ainsi faite, qui dépose tout entiers le poids et le prix d'une oeuvre entre les mains de ses lecteurs. Yasmina Khadra le fait avec autant d'espoir que de passion, et parfois de colère. Et la seule justification qu'il veuille brandir, ce sont ses livres. A toi donc à présent, lecteur, de lire et de juger.
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Posté Le : 05/07/2010
Posté par : nassima-v
Source : www.yasmina-khadra.com