L’histoire de sa conception est liée à la lutte pour l’indépendance. Il est brandi pour la première fois le 8 mai 1945, à Sétif, lors d’une révolte matée dans le sang par la puissance coloniale française.
C’est un drapeau taché de sang, indissociable de la lutte d’indépendance. Il fait son apparition sur le volcan de la répression, lors des « massacres de Sétif, Guelma et Kherrata ». Le 8 mai 1945, tandis que les Européens célèbrent la victoire sur le nazisme, les Algériens tentent de faire entendre les revendications portées par les mouvements indépendantistes, qui montent en puissance depuis les années 1920. Alors membre des scouts musulmans, le jeune Bouzid Saâl, fils de paysan âgé de 26 ans, déplie et hisse le drapeau au moment où les manifestants passent devant le Café de France et entonnent le plus célèbre des chants patriotiques, Min Djibalina (« de nos montagnes »).
Tombés pour avoir hissé le drapeau
La police française se rue sur le jeune homme, tente de le maîtriser et de lui arracher le drapeau ; il ne lâche pas prise, des coups de feu partent, il est blessé, s’écroule, mais porte encore le drapeau à bout de bras. C’en est trop pour le commissaire de Sétif présent sur les lieux, qui tire et achève Bouzid d’une balle dans la tête. Une semaine plus tôt, un autre jeune Algérien tombait sous les balles de la police à Alger pour avoir hissé ce même drapeau.
« Belhafaf, porte-drapeau de la manifestation du 1 er mai 1945 à Alger, tombera criblé de balles parce qu’il tenait précisément le drapeau national algérien vert, blanc, frappé d’une étoile et d’un croissant rouges à la rue d’Isly », rapporte Ali Messali, fils du leader historique Messali Hadj, fondateur de la première organisation nationaliste algérienne dans les années 1920, dans un texte écrit sur l’origine de l’étendard.
L’apparition du drapeau déclenche une spirale de l’horreur qui fera 45 000 morts
L’assassinat du porteur de drapeau attise la colère chez les Algériens, des colons propriétaires agricoles sont ciblés, on compte une centaine de morts, la riposte de l’armée française est terriblement meurtrière. Les développements de l’épisode du 8 mai sont épouvantables. L’aviation arrose de bombes la campagne, rase les hameaux et douars, les troupes au sol viennent en renfort, la traque des « indigènes » s’intensifie avec le concours de milices civiles, les massacres se multiplient. L’apparition du drapeau algérien aura ainsi déclenché une spirale de l’horreur qui fera 45 000 morts selon le Parti du peuple algérien (PPA), une estimation également retenue par le consulat américain à Alger. « Les automitrailleuses, les automitrailleuses, les automitrailleuses, y en a qui tombent et d’autres qui courent parmi les arbres. Il n’y a pas de montagne, pas de stratégie, on aurait pu couper les fils téléphoniques, mais ils ont la radio et des armes américaines toutes neuves. Les gendarmes ont sorti leur side-car, je ne vois plus rien autour de moi », décrit l’écrivain Kateb Yacine dans son roman Nedjma.
L’œuvre d’Émilie Busquant, militante, féministe, anticolonialiste
Mais qui a conçu le drapeau algérien, à qui doit-on l’agencement de ses composantes et la déclinaison de ses couleurs ? On sait que le vert représente la prospérité et la terre, et qu’il symbolise aussi la couleur du paradis dans l’islam. Le blanc représente la pureté et la paix. Le croissant rappelle le chemin que doit parcourir le musulman durant sa vie pour espérer accéder au paradis. L’étoile à 5 branches, enfin, renvoie aux cinq piliers de l’islam : le pèlerinage à la Mecque, la prière, la foi, le ramadan, la zakat (« aumône ») ; la couleur rouge évoque le sang des martyrs.
Pour le reste, s’agissant du ou des concepteurs, des zones d’ombre demeurent et des thèses s’affrontent. Un nom revient toutefois dans toutes les versions : celui d’Émilie Busquant, militante anarcho-syndicaliste, féministe, anticolonialiste, compagne de Messali Hadj. L’écrivain Mohamed Benchicou retrace le récit de sa vie dans la Parfumeuse – elle fut vendeuse aux Magasins réunis, les grands magasins qui occupent alors tout un flanc de la place de la République. C’est elle qui aurait confectionné le drapeau algérien, dont les couleurs avaient été choisies en 1934, lors d’une réunion de l’Étoile nord-africaine dans le 13 e arrondissement de Paris, rapporte de son côté l’historien Benjamin Stora.
« Ce drapeau, elle l’avait voulu aux couleurs de cette organisation nationaliste révolutionnaire à laquelle elle avait déjà pensé chez Gégène, un parti qui soit à cheval sur la Révolution française, la Commune et l’islam : le rouge des insurgés de 1789 et du sang des communards, du Maghreb aussi, le vert et le croissant de l’islam », écrit Mohamed Benchicou. C’est ce drapeau qui recouvrira le cercueil d’Émilie, un an avant le déclenchement de la révolution, le 1 er novembre 1954.
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Posté Le : 13/08/2020
Posté par : patrimoinealgerie
Ecrit par : Nadjib Touaibia - Photo : Alger, le 3 juillet 1962, après la proclamation des résultats du référendum, 91,23 % de «Oui» à l’indépendance. © Keystone-France / Gamma-Rapho
Source : humanite.fr