Histoire de dire...

Question de civilisation A un ami qui avait la chance de visiter la mythi-que ville de Londres, je demandais s’il s’était rendu au Buckingham Palace où se rendent chaque année, des millions de touristes juste pour voir le fameux changement de garde qu’effectuent magnifiquement les gardes de sa majesté. Il me répondit qu’il n’a pas eu, hélas ce privilège. A mon grand étonnement, je ne pouvais que pousser mon interrogatoire un peu plus loin car j’estimais qu’une intelligence aussi bien structurée que mon ami, qui savait apprécier les choses de la vie, pour lui réclamer une explication raisonnable, conforme à son sens de raisonnement et à son goût plus au moins raffiné pour tout ce qui a trait à l’art, même s’il n’était pas issu de l’aristocratie. Sa réponse, fut aussi surprenante que spontanée, surtout venant de la part d’une personne qui s’évertuait à donner un sens à chaque chose, aussi futile soit-elle. Il m’avoua, en fait, qu’il n’a pas eu le temps ni l’esprit de contempler le spectacle qui s’offrait à ses yeux, occupé qu’il était à « contempler « les touristes venus des quatre coins de la planète seuls ou en groupe, agglutinés devant la façade du palace, leur caméra et appareils photos aux poings et s’extasiant à chaque mouvement réglé comme du papier à musique qu’effectuaient magistralement les gardes, ornés de leurs belles tuniques rouges. Dubitatif, je concevais difficilement comment mon ami a pu se laisser aller dans un tel égarement de l’esprit, même sachant qu’il voyageait pour la première fois de sa vie hors des frontières de son pays. Saisissant ma perplexité, il s’excusa presque de son cafouillage. Il voulut certainement cacher à mes yeux, ce sentiment de tiers-mondiste sous-développé, maladivement orgueilleux, qu’il devait ressentir au fond de lui-même et qu’il traînait comme un boulet rouge. Un instant, je crus que toute son âme était traversée par un flétrissement mortel pour son ego déjà fragile. Cette impression se consolida encore un peu plus en moi lorsqu’il m’avoua l’autre frustration lors de son séjour à Paris. Il oublia tout bêtement de prendre une photo de la Tour Eiffel sous laquelle il passait, en s’oubliant d’admirer les touristes qui claquaient leur flash sur la tour en fer. Mon ami n’eut pas cette présence d’esprit d’emporter dans ses bagages le moindre petit souvenir lors de son passage dans ces deux villes prestigieuses. Pourtant, mon ami, porté sur la culture en général, ne vouait pas, comme je le connaissais, un culte démesuré à l’Occident, mais il admit quand même avoir intercepté, comme pour justifier sa frustration et son écervelement, cette différence civilisationelle qui se traduisait à travers le comportement simple, affable, discipliné de tous ces gens qu’il a eu à «contempler».