Il travaille la
nuit. Et touche 2000 dinars de plus que ses collègues car il amène son propre
chien. A 24 ans il a choisi la sécurité de l'emploi. La société de gardiennage
qui l'emploie croule sous les candidatures. Pour se consoler il peut regarder
les dernières venues dans les show-rooms. Des Porsche à plus de mille fois son
salaire. S'il avait l'argent, Hichem achèterait une
flotte de… petits utilitaires chinois. Portrait entre deux rondes.
Chez le
représentant officiel de la marque automobile allemande la plus vendue au monde,
que l'on peut voir en roulant sur l'autoroute de Ben Aknoun,
il y a plusieurs showrooms vitrés, estampillés des prestigieux logos qui font
rêver plus d'un, des garages de maintenance et même une pompe à essence… mais
pas un café ni un fast-food à des kilomètres à la ronde. Hichem
est debout, il fait face aux barrières entourant le parking, son travail : demander
aux automobilistes qui quittent la pompe à essence de ne pas se garer à côté
des haies métalliques pour ne pas bloquer la vue de l'exposition en plein air
des nouveaux modèles de véhicules utilitaires de la marque. Cette marque que
jadis on appelait la "voiture du peuple". Aujourd'hui, le peuple doit
débourser au moins 1 400 000 dinars pour s'offrir le moins cher de ses modèles.
Hichem est salarié ici pour 17 000 dinars par mois. Il
tient à préciser que c'est parce qu'il a son propre chien que la société lui
paie 2 000 dinars de plus que les autres gardiens qui, eux, plafonnent, pour la
plupart, à 15 000 dinars.
Le DRH a une
longue liste d'attente…
«Je fais un
remplacement ce matin, tu sais, on est comme le liquide pour les radiateurs, on
nous met quand ça manque. D'habitude je travaille la nuit, en général je suis garde-chien, j'ai mon propre chien et je travaille de 16 h
jusqu'à 8h du matin», prend le soin de nous expliquer Hichem
dès qu'on se présente à lui, puis il ajoute: «écris, écris, ça ne servira pas à
grand-chose pour changer la situation, mais sait-on jamais». A vrai dire, notre
jeune gardien qui a 24 ans a une chienne, il fait de l'élevage, «ça me permet d'avoir
un peu d'argent, un mâle rapporte 18 000 dinars, une femelle environ 15 000». Pour
les autres gardiens, quand ils ne sont pas aux postes près des showrooms, ils
sont au parking, un grand terrain vague poussiéreux en été, boueux en période
de pluie, à gérer le manque de place et des clients pas toujours contents de
faire dix fois le tour du parking pour trouver où se garer.
Hichem a très vite
de la compagnie, un collègue gardien, la quarantaine qui dès qu'il apprend la
présence d'un journaliste, s'empresse à son tour de vider son sac : «Ici, les
gardiens sont très mal payés, pour nous les veilleurs de nuit, on nous a ajouté
quatre heures de travail de plus. On croyait qu'on allait être augmentés, mais walou, rien, et t'as pas intérêt à réclamer, le DRH te
sortira la longue liste d'attente des demandes d'emploi».
- «Mais pourquoi
tu travailles ici alors?» interrompt Hichem, amusé, «toi
qui travaille comme chauffeur clandestin». «C'est plutôt à toi qu'il faut poser
la question», rétorque le quadragénaire, «tu n'as que 24 ans, à ton âge je
retournais le monde». Toujours amusé de voir son collègue parler comme «à la
télé», Hichem lui assène : «Pour la même raison que
toi mon ami, l'assurance… Arrête de la ramener, soi gentil et va nous chercher
des sandwichs».
En dehors, des
distributeurs automatiques de café, petits gâteaux secs et chocolat (aux prix
relativement élevés, car destinés aux clients dans la salle d'attente), les
gardiens n'ont rien à se mettre sous la dent s'ils n'apportent pas leur
déjeuner avec eux.
Garde-chien, c'est tout de
même moins épuisant que manÅ“uvre
Hichem a quitté l'école
en 7ème année moyen. Son père, fonctionnaire, est décédé il y a quelques années
de cela. Son frère est maçon et c'est lui qui couvre les dépenses de la mère et
des sÅ“urs. «J'ai commencé par faire le manÅ“uvre pour mon frère, c'est un métier
difficile où tu ne gagnes pas beaucoup», se souvient Hichem,
«mais à la mort de mon père, avec l'argent de l'assurance, ma mère nous a aidés
mon frère et moi à acheter un petit véhicule utilitaire de la marque DFM, rien
de bien spectaculaire, on vendait des fruits et légumes dans mon quartier à Ain
Bénian. Mais ça devenait trop compliqué avec les
policiers, alors mon frère est retourné à son métier et moi, grâce à mon
élevage de chiens, je me suis trouvé ce boulot de nuit, j'ai su qu'ils (l'entreprise
de gardiennage privée) cherchaient des gardes-chien, j'ai
postulé. La journée je bricole avec le fourgon».
Y compris pour
faire le garde, le recrutement a été une galère de paperasses pour Hichem, «l'entreprise qui nous emploie demande un gros
dossier, avec deux casiers judiciaires à retirer». Lorsqu'il est allé retirer
le sien, Hichem qui croyait qu'il n'avait rien à se
reprocher a découvert qu'il avait eu, par le passé «des démêlés avec la
justice», raconte-t-il en rigolant. Il leur a dit qu'il «n'avait pas la tête d'un
criminel» mais il a fini par tout de même aller au tribunal, «face à une juge
et tout, elle a fini par m'acquitter… pour une histoire d'assurance de
mobylette que j'avais eue il y a plusieurs années».
Dans la concession on vient d'ouvrir un
nouveau showroom : les voitures de sport Porsche. La moins chère des voitures
exposées (4 sont disponibles) coûte plus d'un milliard et demi de centimes, soit
1 000 fois la paye mensuelle de Hichem. Quand on le
lui fait remarquer, Hichem lâche un soupire et dit : «si
j'avais cet argent, j'irais m'acheter toute une concession d'utilitaires Sokon… dire qu'il y a un client qui vient d'en commander 20
d'un coup».
Comme pour sa mini-fourgonnette de la marque DFM, Sokon,
une autre marque asiatique, propose des utilitaires à moins de 800 000 dinars, qu'on
achète, parfois, au prix d'une assurance-vie…«bricolée».
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Posté Le : 24/05/2011
Posté par : sofiane
Ecrit par : Samir Hachoud
Source : www.lequotidien-oran.com