Algérie

Heurs et malheurs d'un médecin


«J'adore ce métier que je fais avec mes patients»
Pourtant, les médecins rencontrés s'accordent tous à dire que le président de la République Abdelaziz Bouteflika a mis de gros moyens pour «soigner» notre système de santé, «mais il y a incontestablement un problème de gestion», assurent-ils avec dépit.
«J'aurais dû être hôtesse de l'air...» Cette phrase qui semble tout à fait anodine sort de la bouche de Samia, une jeune médecin généraliste qui est employée depuis plus de trois ans dans une polyclinique de la capitale, dans le cadre, tenez-vous bien, de l'emploi de jeunes. «Depuis la fin de mes 7 ans d'études, je touche 15.000 malheureux dinars. Dans le meilleur des cas, j'arrive à les arrondir avec quelques gardes à un peu plus de 20.000 dinars par mois...», assure-t-elle les larmes aux yeux. «C'est ce que l'on appelle chez nous «chiaâ bla chabaâ». En étant vendeuse dans un magasin, j'aurais gagné beaucoup plus», ajoute-t-elle en regrettant les nuits blanches qu'elle a passées à réviser pour réaliser son rêve de devenir médecin. «J'adore ce métier que je fais avec mes patients, mais mon rêve est devenu un cauchemar. Je suis sur le point de lâcher et opter pour une carrière de déléguée comme l'ont fait mes camarades généralistes qui sont encore au pays», indique-t-elle. Mais alors qu'est-ce qui l'empêche de tout claquer' «En fait, comme je l'ai dit c'est ma passion pour le métier qui m'aide à tenir et j'ai toujours espoir d'être officiellement recrutée sur un vrai poste budgétaire», assure cette jeune fille qui travaille tout autant que les médecins titulaires, si ce n'est pas plus. Néanmoins, pour garder Samia et ses semblables, les responsables des structures de santé leur mettent sous le nez une carotte nommée: énigmatique concours de recrutement pour lequel il faut attendre des années pour le passer.
15.000 dinars par mois depuis trois ans!
«On nous baratine avec le fait d'être favorisés par rapport aux autres candidats par notre ancienneté!», souligne-t-elle. Toutefois, comme ils sont légion en Algérie, ces concours se transforment souvent en mauvais feuilleton où ces pauvres médecins se voient carrément «chiper» leurs postes par des «concourants» venus d'autres secteurs ou carrément du privé...On cite le cas d'un Epsp où les cinq pré-emplois qui se sont sacrifiés durant de longues années n'ont pas obtenu de postes, pourtant, 10 étaient ouverts. Or, des personnes venues d'autres établissements sanitaires ont eu ces postes. Pis encore, les résultats de ce concours n'ont pas été affichés. Il a fallu qu'il y ait un mouvement de protestation chez ces médecins pour qu'une enquête soit ouverte et qu'ils soient rétablis dans leurs droits, leur permettant d'aspirer à un salaire «normal». «Mais quand on parle de salaire normal, il ne faut pas croire que l'on touche une fortune. On est payé à 48.000 dinars par mois, avec les primes et les gardes ont atteint difficilement les 55.000 dinars par mois», souligne Mustapha, également jeune médecin dans la capitale qui prépare néanmoins son concours de résidanat. «Si je ne l'ai pas, je vais complètement changer de métier. Il y a des métiers moins pénibles où l'on est beaucoup mieux payé et qui demandent moins d'années d'études...», fait-il savoir, en mettant en avant les risques du métier avec, notamment la responsabilité des patients et surtout les pressions et agressions quasi quotidiennes. Toutefois, «Docteur Mus» comme aiment l'appeler ses amis, s'estime heureux par rapport à ses collègues du Sud et des Hauts-Plateaux. «Pour des salaires à peine plus importants que le nôtre, ils font le travail de 10 personnes. Cela sans parler des gardes qui, dans certains cas, sont un ou deux à les assurer», rapporte-t-il en mettant en avant le manque de moyens basiques tels que les compresses ou médicaments, que ce soit dans les établissements de régions reculées du pays ou même au Nord. Que ce soit docteur Samia, docteur Mustapha ou d'autres de leurs collègues, ils soutiennent que la rémunération n'est pas leur principale motivation. Mais il leur faut un minimum pour vivre décemment et en accord avec leur statut de médecin. A l'heure actuelle, il n'est donc pas bon d'être médecin généraliste en Algérie. «Cependant, il ne faut pas croire que c'est beaucoup mieux pour un spécialiste», souligne Omar, résident en chirurgie générale. «Dans notre cursus de résidanat on fait le gros du travail avec un statut à mi- chemin entre des médecins spécialistes et des étudiants, on oublie souvent que nous sommes des médecins en poste- graduation ce qui fait que l'on se fait écraser par pratiquement tout le monde», explique Omar qui refuse de parler du point de vue pécuniaire, se contentant de préciser qu'il était presque le même que celui du médecin généraliste.
Après 4 ou 5 ans dans ce statut d'«apprenti spécialiste», Omar et les autres résidents doivent franchir l'étape fatidique du service civil qui, pour les hommes, est suivi presque automatiquement par le service militaire. «Après 12 ans d'études, de gardes et de nuits blanches, on est envoyé contre notre gré dans des régions isolées du pays, avec des salaires qui dépassent difficilement les 100 000 dinars, ce qui est 20 fois moins que le salaire moyen d'un footballeur, jouant dans notre championnat», peste de son côté Sarah, résidente en gynécologie qui tient à préciser, comme tous ses collègues, pour qui ce n'est pas le salaire qui dérange, mais un manque flagrant de moyens. «Moi, jeune fille que je suis, je me suis retrouvée dans une petite bourgade du Sud sans avoir où me loger alors que les responsables du centre m'avaient promis un logement. Vous imaginez la galère que cela représente déjà pour un homme, alors pour une femme...», raconte-t-elle toujours sous le choc de s'être retrouvée «SDF».
Farid, chirurgien orthopédique, a vécu presque la même galère, avec comme «option» de s'être retrouvé d'abord dans un endroit où il ne servait à...rien. «On m'a envoyé dans une petite bourgade de l'est du pays, dans un petit établissement sanitaire qui ne dispose pas de...bloc opératoire. Le comble pour un chirurgien», assure ce spécialiste qui a dû se battre pour changer d'établissement vers un autre de la même région, mais qui dispose d'une «salle d'opération». «Je précise que j'ai appelé cela salle, car c'est loin d'être un bloc opératoire. Mais on est obligé de faire avec pour tenter de soigner nos patients», atteste-t-il en qualifiant la pratique actuelle, de médecine de guerre. Toutefois, il n'omet pas de signaler que cette situation n'est pas uniquement visible dans les zones reculées du pays, mais même dans les grands hôpitaux de la capitale.
«Il n'y a pas de réactifs pour les bilans médicaux, pas d'échographes qui marchent, pas d'IRM et souvent même pas de clichés pour tirer les radios. On recourt au système D, en les prenant en photos sur nos téléphones pour les déplacer de la radiographie à nos services respectifs», certifie-t-il. «Au lieu de soigner les malades, le médecin s'occupe de détails qui ne devraient même pas exister», poursuit-il, en évoquant les résidents qui, durant les gardes, deviennent brancardiers, faute de personnel, ou encore les résidents qui sont obligés de faire le tour des hôpitaux pour une évacuation, abandonnant pendant des heures leurs postes, sans être sûrs que leur malade trouve une place dans un hôpital.
Des urgences qui ne sont pas urgentes!
Pourtant, que ce soit lui ou le reste de ses camarades, tous s'accordent à dire que le président de la République Abdelaziz Bouteflika a mis de gros moyens pour «soigner» notre système de santé, «mais il y a incontestablement un problème de gestion de la part de ceux en qui le chef de l'Etat a placé sa confiance pour le bien de la santé des citoyens», affirment-ils unanimement, non sans pointer au passage la surcharge des hôpitaux, notamment les urgences qui sont pris d'assaut par des citoyens ne nécessitant pas d'urgence. «Ces services accueillent toutes sortes de patients qui ne présentent pas forcément des signes élevés de gravité. Des cas loin d'être urgents qui doivent être pris en charge par les services de santé de proximité», rétorque le docteur Adel, chirurgien. «Ce type de patients, qui représente 80% de l'affluence, perturbe le bon fonctionnement de ces services. Surtout qu'ils sont le plus souvent impatients et se mettent en colère quand on leur dit que leur cas n'est pas urgent», dit-il.
« Les malades doivent être compréhensifs, car ce genre de comportements se répercute sur les vraies urgences qui tardent à être prises en charge ou sont mal prises en charge du fait que le médecin est occupé à calmer les ardeurs de certains», explique-t-il en dénonçant les agressions que lui et ses collègues subissent quotidiennement. Qu'ils soient donc généralistes ou spécialistes, les médecins algériens galèrent. C'est même un vrai parcours du combattant pour pouvoir assurer des soins aux patients, qui malgré cela, perdent patience. Une véritable réforme doit être décidée pour sauver un système de santé au bord de l'agonie. Cela passe incontestablement par le bien-être de ces soldats que sont les médecins...Il y a urgence!
Le témoignage poignant d'un couple de résidents
C'est l'histoire très émouvante du vécu d'un couple de médecins spécialistes! Ils sont d'Oran et leur terrible histoire a secoué les réseaux sociaux. C'est un interniste promo janvier 2017, marié à une chirurgienne viscérale promo 2015. Ils luttent tous les deux pour décrocher ce «fameux» droit de regroupement familial. «Hélas sans résultat», écrivent-ils dans une page spécialisée. «Ma femme avait été affectée dans une bourgade à Adrar, lieu de résidence à Oran», souligne le mari. A aucun moment ils auraient cru avoir des difficultés pour décrocher le regroupement. «Et ce, pour plusieurs raisons: ma femme souffre d'une pathologie chronique, j'ai un handicap relatif et Dieu nous a fait don d'un enfant magnifique, qui en 2015 avait 2 ans (bas âge) et qui présente un trouble autistique. Ce n'est pas pour me plaindre -hamdoullah- mais imaginez un peu la vie des parents dans un pays dépourvu de toute structure ou prise en charge pour cette catégorie», indique-t-il. «Résultats des courses: depuis 2015 à ce jour six recours. Des audiences avec le DRH, le chef de cabinet du ministre, des va-et-vient d'Oran à Alger et surtout 3 ans de chômage pour ma femme et un an pour moi», se désole-t-il. En dehors de toutes considérations médicales, le regroupement familial est un droit ultime pour une famille (parents+enfants). Mais l'irresponsabilité de certains responsables fait que l'on trouve un couple de médecins spécialistes au chômage, alors qu'ils ne demandaient qu'à travailler au même endroit...
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