Algérie

Heureux qui, comme lui,...



Il n'y a rien d'étonnant dans le fait que Nicolas Sarkozy ait fait passer sa fameuse réforme des institutions. Partout dans le monde, la mode est aux changements à l'ère d'une mondialisation dont le sens échappe même à ses propres concepteurs. Et même la manière particulière dont le projet a été adopté (50% plus une voix) ne constitue pas, pour ainsi dire, un cas extraordinaire, tant il est vrai qu'il arrive, un peu plus souvent qu'on a tendance à le penser, que dans les démocraties d'aujourd'hui on se surprend à compter et à recompter les unités pour départager les opinions. Le cas Bush - Al Gore est encore là, trop récent dans les mémoires et les annales de la démocratie.

Ce qui, dans le cas du vote de la réforme française, attire l'attention cependant, c'est la position de Jack Lang qui, malgré les directives de son parti à se prononcer contre la réforme, a volontairement, en toute âme et conscience — comme dirait l'autre — donné sa voix au profit du projet de la majorité, un acte que certaines voix du Parti Socialiste ont vite fait de qualifier de trahison ou que d'autres, toujours du PS, n'ont pas tardé à assimiler à un départ volontaire vers « un ailleurs ».

C'est à la vérité qu'on reconnaît les hommes, pas l'inverse. Au-delà de la polémique que d'aucuns ont beaucoup d'intérêt à entretenir à un moment où le parti socialiste français traverse l'une des crises les plus profondes de son histoire, en ce sens que, aussi bien l'équipe dirigeante du parti que la philosophie qui est leur, sont rejetées et tiennent de moins en moins face à une nécessité de renouvellement imminent, et au-delà du contenu de la réforme elle-même, l'acte de Jack Lang, parce qu'il soulève des questions des plus importantes, devra mériter l'intérêt de chaque homme politique, de chaque partisan, où qu'il soit sur cette planète et indépendamment du prisme dont il considère sa démocratie.

La première question, qui vient à l'esprit au vu du comportement de l'ancien ministre français, est celle de savoir si l'opposition « se doit » de voter systématiquement contre toute proposition venant de la majorité au pouvoir.

Cette attitude que l'on pourrait qualifier d'« oppositionnite » reviendrait en fin de compte à ne reconnaître ni intelligence ni bon sens à autrui. Il s'agit, ni plus ni moins, d'une focalisation maladive sur un marquage de territoire, bête et méchant, dénué aussi bien de sens que d'intérêt et digne des premiers réflexes tribaux, les plus enfouis dans la mémoire des hommes. Il n'est pas difficile de reconnaître là, et à l'oeil nu, les ravages de l'individualisme, même (devrions-nous dire surtout ?) en politique, une philosophie si adulée par l'Occident que ce dernier a fini par y perdre ses propres valeurs.

Rejeter des propositions pour la seule raison qu'elles viennent d'autrui c'est agir comme si l'on pouvait reconnaître la vérité à ses hommes alors que, en fait, ce sont plutôt les hommes qu'on reconnaît à leur vérité, et pas l'inverse. Devrions-nous récuser le fait que la Terre soit ronde tout simplement parce que le diable, oui le diable, le dit un jour ? De ce point de vue, il est aisé de comprendre à quel point, en politique, le comportement partisan consistant à rejeter systématiquement tout ce qui vient d'ailleurs est un comportement non responsable et à quel point il peut même être préjudiciable à une société qui se veut démocratique, c'est-à-dire qui compte beaucoup sur l'apport de l'opposition dans le processus de sa construction et non dans celui de sa déconstruction. C'est pourquoi le vote de Jack Lang, plus citoyen que militant, s'inscrit dans cette série d'exemples, si rares de notre temps malheureusement, où la justesse et la beauté de la raison des hommes arrivent à surpasser le lest si lourd pourtant de leur passion.

Mieux que l'acte partisan, l'affranchissement

La seconde question qui se pose est celle de savoir si un militant d'un parti se doit de suivre les consignes de son parti même lorsqu'elles vont à l'encontre de ses propres convictions ou, plus grave encore, à l'encontre de l'intérêt général ?

Cette question figure parmi celles que les hommes politiques et, surtout, les simples militants se posent fréquemment parce que, en politique tout comme pour l'exercice des plus simples activités partisanes, il n'est pas rare que les uns et les autres se voient confrontés à des dilemmes de ce genre, c'est-à-dire du type cornélien. Lorsque les enjeux sont insignifiants ou inexistants, cela passe presque inaperçu mais dès que les décisions sont importantes, c'est-à-dire lorsque la voix ou l'acte de chacun sont censés agir sur le devenir de toute la société, sur le bien-être de générations entières, les hommes, et en fonction de la hiérarchisation qu'ils font des priorités et des intérêts, cessent aussitôt de se ressembler dans la manière de percevoir leur rôle ou leur mission.

Il y a, alors, ceux dont la conscience et la vision, aussi incapables de s'élever l'une que l'autre, collent purement et simplement à un soi-disant intérêt partisan, restreint et accroché, lui-même, à un terme trop court pour survivre à l'acte lui-même ou, dans le meilleur cas, dépasser les calculs électoraux. Mais, d'un autre côté, il y a ceux qui, arrivant à s'affranchir du « surpoids » du devoir partisan, se mettent à raisonner non pas en tant que militants d'un parti mais plutôt en tant que membres d'une nation, ceux qui mettent au placard, le temps d'un vote, d'une position ou d'un tout autre acte, l'étroitesse du point de vue partisan afin de laisser s'exprimer la largesse d'esprit de la citoyenneté. Depuis que la politique est devenue ce qu'elle est, et partout dans le monde, il est malheureusement plus courant de rencontrer des individus qui, sans même connaître la philosophie de leur propre parti, se dépêchent de rejeter tout ce qui vient d'autrui sous le bas prétexte que c'est... d'autrui. Ils se placent ainsi volontairement gardiens, puis farouches défenseurs, d'une morale qui leur échappe.

C'est pour ces raisons, et d'autres encore, que la voix du socialiste Jack Lang, cette voix même qui a permis à ses propres adversaires de la droite de faire adopter leur projet, est plus précieuse pour son pays que toutes les autres voix car fondée sur la supériorité de la raison sur la passion et bâtie sur la volonté manifeste d'un homme de s'affranchir de tout avilissement, dût-il être celui partisan. Heureux qui, comme lui, a su faire passer l'intérêt de son pays avant celui de ses amis et de son propre parti !

La leçon est trop grande, elle est même trop claire pour oser la commenter pour ceux qui, les yeux dans les épaules, ne risquent pas de la remarquer et, encore moins, la comprendre.






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