Algérie

Hassi Messaoud, les secrets (bien cachés) de l'or noir



Hassi Messaoud, les secrets (bien cachés) de l'or noir
C’est comme dans les anciens mythes de l’humanité ou du Texas: un jour de l'année 1917, un berger audacieux arrive au centre d’un Sahara algérien sans fin et sans intérêt. Il y cherche de l’eau pour son troupeau. Il creuse un puits, trouve de l’eau mais aussi une substance noire et visqueuse. Du pétrole. Un siècle plus tard, 600 Algériens tiennent un sit-in près de ce puits et demandent l’héritage de leur ancêtre. Il s’appelle Messaoud et la ville s’appelle Hassi Messaoud, capitale du pétrole algérien, à 850 km au sud-est d’Alger.

La famille «Dallas la plus pauvre d’Algérie»

L’info commence à provoquer l’attention des médias algériens depuis quelques jours: on en parle, au début avec humour, puis avec beaucoup plus de gravité et de sérieux. L’enjeu est en effet énorme: A qui appartient vraiment le pétrole algérien? A tous les Algériens? A la France qui y a creusé les premiers forages les années 1950? A Messaoud l’ancêtre de cette ville dite «vache laitière» de l’Algérie? Ou aux 600 de ses descendants qui possèdent tous les papiers preuves de leur droit de jouissance sur les quelques 4 kilomètres carré de l’endroit? Ou aux grands majors pour qui Messaoud l’algérien restera un berger anonyme et sans cotation en bourse?

Depuis quelques jours, les 600 Messaoud sont en sit-in permanent près du fameux puits qui a donné son nom à la fausse ville: Hassi Messaoud. Traduire, le «Puits de Messaoud» creusé par le Père de tous, mort en 1924. Ce qu’ils veulent? Pas le pétrole.

«Le pétrole est une richesse nationale, nous ne demandons pas sa privatisation. Nous réclamons la reconnaissance de notre droit comme légitimes propriétaires de ces terrains et de nous accorder des droits comme tous les autres Algériens» expliquera à un journal Mohammed, le porte parole du clan.

Ils sont propriétaires historiques et légaux des 4 kilomètres carré de l’endroit le plus riche d’Algérie, avec le gisement de pétrole le plus énorme d’Afrique.

«Et pourtant en tant que légitimes propriétaires de ces terrains, nous sommes marginalisés dans toute la région. Sur les 600 personnes descendantes de Messaoud, seules 6 personnes travaillent dans les compagnies pétrolières. Le reste travaille dans le secteur privé. Nous sommes méprisés. A cela s’ajoute l’obstacle de la construction, ils nous interdisent de construire sous prétexte que c’est une région pétrolière, mais en revanche, on laisse des «barons» accaparer des terrains et construire des parkings en dépit de cette même loi. S’il s’agit d’une région interdite à la construction, ils doivent l’appliquer sur tout le monde, s’il y a un besoin de construire des parkings et des bases de vie, nous sommes prioritaires» plaide le dernier des Messaoud.

600 Messaoud et quelques dinars

Les Messaoud ne veulent pas le pétrole, mais seulement la terre, en surface, et un régime de priorité pour le recrutement des porteurs de noms dans le seul secteur à gros salaire dans la région, celui des hydrocarbures. Le pétrole a été découvert sur leurs terres mais ils sont restés pauvres, au chômage et à l’ombre de l’histoire. La propriété du pétrole, principale richesse du pays, et unique poumon de l’économie algérienne reste donc un tabou. L’indépendance de 1962 a consacré l’égalitarisme et la propriété «du tout par tous» pour éviter les réclamations du genre. En effet, qui sera, après l’indépendance, le propriétaire de la richesse ou de la terre? Le chef de guerre tribal que la France a exproprié en 1870 et dont les descendants sont encore là, ou le Moudjahid qui a survécu après la guerre d'Algérie? Ou le colonel qui a négocié avec De Gaulle? C’est l’un des plus grands blocages de la propriété foncière en Algérie et il n’a pas encore été surmonté 50 ans après.

Les accords d’Evian sans les Messaoud

La question s’est posée un peu autrement pour le pétrole algérien. Les négociations d’Evian, clefs des accords ayant mené à conclure l’Indépendance algérienne, avaient buté sur le dossier du Sahara. Dès l’année 1956, la société française SN REPAL découvre du pétrole dans les sous-sols de la région avec des gisements qui se révèleront fabuleux. Un Eldorado en naitra très vite et autour de la margelle blanche posée par Messaoud, repère dit-on des caravaniers et signe encore visible de l’eau du puits aujourd’hui à sec, une ville se construit. Dès 1958, l’exploitation commence et avec elle le rush des chercheurs d’or, leurs familles, leurs administrations, leurs piscines et leurs villas et leurs kiosques et cafés.

Les oubliés de la nationalisation

«Les colons, à l’époque, reconnaissaient que nous sommes les propriétaires de ces terres. Des actes de propriété existent» affirment Mohammed Messaoud, dans les journaux algériens.

Une ville–champignon y verra donc le jour et la population y explosera passant de quelques centaines de nomades à des milliers de sédentaires. L’enjeu était énorme pour la sécurité énergétique de la France, mais la France finira par perdre la partie: le 24 février 1971, le pétrole d’Hassi Messaoud est nationalisé par Houari Boumediene et Hassi Messaoud deviendra algérienne et les Messaoud ne diront rien et n’auront rien, encore une fois.

Petite anecdote, la nationalisation sera poussée jusqu’au détail: le 15 juin ou le 27 Juillet 1956 à 15 heures sur le camp MD1 (MD pour Messaoud), un français, Jean Riemer a fait jaillir pour la première fois du pétrole à Hassi Messaoud, raconte-t-on. Un feu se déclara sur les lieux et provoquera une explosion qui brulera gravement le pionnier. Rapatrié en urgence à Alger par avion, Riemer mourra de ses blessures quelques jours plus tard. On raconte aussi qu’une «plaque dédiée à son souvenir fut fixée au puits N° 1 de Hassi Messaoud et qu’en 1962 cette plaque sera enlevée, après l'indépendance du pays.». Le même destin réservé à Messaoud, le père.

Le Puits est à sec, mais l’argent coule

Nationalisé, le pétrole de Hassi Messaoud appartiendra donc à tous les Algériens. Pour les Algériens, il y a cependant des détails au bas de l’acte de propriété: Sonatrach reste l’unique société publique, détentrice des droits d’exploitation, de recherche ou de commercialisation de l’or noir et du gaz algérien. Les Messaoud n’y ont pas plus de droits que les autres Algériens. Hassi Messaoud deviendra cependant, au fil des décennies, un enjeu d’or et une mine d’argent, autrement que par le pétrole. Sonatrach y fera déménager ses cadres et ses pôles dès les années 1980 et y érigera des milliers de chalets et de grosses bases de vies pour ses employés. La petite commune de la préfecture de Ouargla, gérée par une mairie modeste deviendra aussi la capitale des plus gros salaires algériens et des emplois les mieux rémunérés dans le seul secteur producteur de richesse de l’Algérie.

La destination attirera sur la ville des flux migratoires internes qui deviendront ingérables durant la guerre civile des années 1990. Autour de la coupole blanche du puits de Messaoud, on retrouvera donc les Messaoud de plus en plus exclus de la rente, les cadres du nord venus en colonies de peuplement, les habitants des autres régions du pays venus chercher du travail et des contrats, les multinationales et, enfin, les premiers bidonvilles. El Haïcha, la bête sera le bidonville le plus célèbre, à cause d’une expédition punitive contre des femmes en juillet 2001.

El Haïcha, la bête immonde

Dès les années 1990, la grosse capitale est devenue en effet le pays rêvé des chômeurs algériens et des chômeuses algériennes aussi. On retrouve donc à Hassi Messaoud, les traces de la femme de Messaoud, la femme cadre, la femme secrétaire, la femme épouse de cadre, la femme de ménage, la femme cuisinière et la femme qui cherche à s’en sortir. Cela induit des situations de vie où les femmes vivent seules et sont donc passibles de l’inculpation pour crime de mœurs et soupçon sur la bonne conduite. Le vendredi 13 juillet 2001, le prêche d’un imam contre les femmes «de mœurs légères» car vivant simplement seules, provoque une réaction de foule et une attaque barbare contre les quartiers des femmes à Hassi Messaoud.

Viols, violences, rapts et agressions à l’arme blanche feront la loi pendant des heures à El Haïcha, le quartier. «L’épuration», malgré l’intervention de la police, sera réédité le lendemain et dans d’autres villes pétrolières du sud algérien. On dénombrera des dizaines de victimes, mais l’affaire sera un peu étouffée au Nord. De procès en faux procès, seuls 6 agresseurs seront jugés, faisant face à 3 femmes, les autres victimes ayant cédées aux menaces et aux intimidations. Ce drame a fait l'objet d'un film, sorti en 2008: Vivantes! de Saïd Ould Khelifa. En 2010, deux des victimes, Rahmouna Salah et Fatiha Maamoura, publient un récit: «Laissées pour mortes, le lynchage des femmes de Hassi Messaoud», Editions Max Milo. Là aussi, les Messaoud n’y pouvaient rien.

Nouvelle ville, clef en main

Hassi Mesaoud, outre son statut de capitale du pétrole, des multinationales, du chômage ou des épurations sexistes, est aussi la manne d’or des appels d’offres internationaux, trop juteux pour être honnêtes. En 2006, le gouvernement algérien décide d’y créer une nouvelle ville, une sorte de New Hassi Messaoud. Le projet est énorme, colossal et prévoit un budget de géant: presque 6 milliards de dollars pour faire de ce puit de caravaniers, devenu un bidonville pétrolier, une vraie ville moderne. La ville du futur restera cependant une promesse. Jusqu’en 2010, le projet reste dans les tiroirs, frappé du sceau de la suspicion et des enquêtes après l’éviction du ministre algérien du pétrole, Chakib Khellil, et les enquêtes lancées autour du staff dirigeant du groupe Sonatrach. Il faut attendre donc 2015 pour voir cette ville naitre de l’actuel désert, promettent encore une fois les autorités algériennes. Le projet est en effet confié à de grands groupes étrangers avec un schéma d'aménagement destiné à abriter une population de 80 000 habitants sur 4483 hectares dont 3205 pour l'urbanisation et l'aménagement. Un gros projet donc et là aussi, les enfants de Messaoud ne sont pas associés.

Messaoud veut sa terre

Du coup, après la découverte de l’eau par Messaoud, celle du pétrole par Jean Riemer, du nationalisme par les nationalisations du Président Houari Boumediene, du califat wahabites par l’imam qui a appelé à lyncher les femmes du quartier El Haïcha et de la nouvelle ville par les futurs constructeurs de villes sur commande, on redécouvre les 600 héritiers de Messaoud. Que veulent-ils? Pas qu’on leur rende le pétrole, mais seulement de la terre, un peu de respect, du travail pour les descendants de Messaoud. Le clan est donc en sit-in depuis quelques jours au centre même de l’endroit le plus riche d’Algérie.

«Nous avons adressé des lettres aux autorités locales, au ministère de l’Intérieur, aux services du Premier ministre et même à la présidence de la République. Malheureusement, aucune suite n’a été donnée à nos doléances. C’est pour cela que nous avons opté pour les sit-in devant le Premier puits de Messaoud qui devait être classé site historique » conclu le représentant de la tribu.

Jusqu’à quand? «Nous sommes déterminés à aller loin dans nos actions, c’est une question de dignité familiale. Voir des gens construire sur les terres de vos ancêtres, sans notre accord, touche à l’honneur de la famille». Les Messaoud sont donc de retour. Accompagné des milliers de chômeurs de la région, devenu aussi capitale des chômeurs militants de l’Algérie pétrolière.


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