Après avoir envisagé une Fetwa autorisant la lapidationcontre les journalistes coupables de diffamation, l'Egypte est aujourd'huisecouée par une polémique profondément révélatrice de l'angoisse de l'âme arabeet de sa perte du sens de l'orientation dans l'empire des signes modernes.Déclarant traditionnellement les morts égyptiens commemartyrs s'ils sont morts par accident naturel, les patrons d'El-Azhar seretrouvent aujourd'hui confrontés au cas des harraga morts en mer, puisrapatriés vers leur terre qu'ils voulaient échanger contre de meilleurs papiersen Europe. La mer étant un objet naturel, les morts étant des morts égyptiens,donc généralement musulmans, fallait-il les déclarer comme martyrs, commecascadeurs malchanceux ou comme aventuriers suicidaires ? L'un des cheikhs dugroupe sera catégorique: non, il s'agit d'imprudents. « Ils se sont jetés à lamort et le but de leur voyage n'était pas de servir Dieu », conclura-t-il. Nepeut être qualifié de martyr un jeune homme qui a eu assez d'argent pour payerune chaloupe au lieu de créer un commerce. «L'avidité était leur but... Ilsn'étaient pas pauvres». Le grade de martyr étant octroyé post-mortem aux gensqui visent d'aller au Paradis par usage de la religion, de la morale, du Djihadsur soi ou sur les impies. Du coup, le cheikh se verra opposer des oppositions,fortes d'autres arguments: un harrag mort en mer est un martyr parce que « Dieunous ordonne de sillonner la terre à la recherche de notre gagne-pain et estmartyr toute personne morte pendant cette quête », répondra le chef du comitésdes Fetwas à El-Azhar.Qui a raison à la fin, mis à part les harraga qui ont euraison mais qui sont morts ? On peinera à trancher. L'Europe étant une sorte deParadis terrestre pour un tiers-mondiste né du mauvais côté du monde, ladéfinition de martyr se retrouve validée puisque tout martyr vise le Paradispar ses actes. En Europe, l'herbe est verte, les belles femmes sont nombreuses,l'eau est abondante, la vie paraît gratuite et facile, tout le monde se croitlibre et il y a des fruits sur les arbres. Un harrag a le droit de prendre lachose pour un paradis et de se déclarer martyr s'il meurt sur le chemin de ceJardin. Reste le reste: la mer tue, les chaloupes sont mortelles, la dissidenceà partir de Dar El-Islam est toujours mal vue et un harrag est un homme qui fuitune bataille au lieu de l'affronter chez lui. Ce qu'il veut, ce n'est paschanger le monde mais changer de monde. Il va en Europe parce qu'il veut leParadis avant la mort et pas après comme d'usage chez nous. En chemin, il meurtsouvent gratuitement au lieu de mourir utilement chez lui. C'est un acte dedébandade, pas un acte de conquête. Il ne veut pas reconquérir l'Andalousiemais vivre en Espagne. C'est la même terre mais pas la même idée.La question reste donc sans réponse. Les harraga peuvent êtrequalifiés de martyrs ou simplement de noyés. Les hommes de religion n'arriventpas à juger le phénomène, tout comme les hommes de loi. Car là encore, il n'y apas de lois qui indiquent du doigt ce qu'il faut faire lorsqu'on capture unharrag qui n'a pas eu de chance. En Algérie par exemple, certains juges lescondamnent à la liberté provisoire, d'autres les relâchent, certains lesinculpent avec des textes réservés aux émeutiers. Sauver sa peau n'étant pas uncrime mais se sauver tout seul étant encore un délit face à la logique dugroupe. Personne ne sait à la fin ce qu'il faut faire. Sauf les harraga.
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Posté Le : 12/11/2007
Posté par : sofiane
Ecrit par : Kamel Daoud
Source : www.lequotidien-oran.com