Algérie

Harbi, le fusil et la plume



Il est plus grand encore. Beaucoup plus grand malgré son humilité à faire semblant d'arracher la parole à une histoire tumultueuse, condamnée au mutisme et dont il connaît le scénario, ligne par ligne. Ses lignes démarrent dans cette petite bourgade écrasée entre un port, Skikda, anciennement Philippeville, et une ville suspendue à ses ponts, vivant de son seul passé, Constantine. De la route qui relie le petit matin au lever du jour, on aperçoit au loin une lumière timidement scintillante au pied de la montagne. C'est la ferme familiale de Harbi au-delà des petites histoires racontées par les habitants d'El-Harrouch, entre ville à peine visible et village franchement émergeant des entrailles de cette Algérie-là. Celle qui sent la terre et les vignobles qui s'y accrochent par habitude. Celle aussi qui pleure et qui rit selon les saisons trop longues, à raconter demain. Celle qui laisse à la poésie quelques vers de trop, des sens à décoder, des hymnes à taper des mains. Mohamed Harbi porte le combat dans une partie de son nom, dans sa naissance, dans ce chemin qu'il a maintes fois refusé et qui l'a pourtant propulsé aux cimes du pouvoir juste le temps de s'apercevoir qu'il ne peut en faire partie, qu'ils ne sont pas faits l'un pour l'autre. L'homme est trop honnête pour tricher au jeu. Il joue à délivrer les tabous et là, il a déjà gagné avec la seule vérité coulant de sa plume. Fidèle à son déchirement qui lui fait oublier l'âge que nous lui connaissons, il avance dans la mémoire sans se soucier des douleurs des autres. Pour lui, la douleur ne peut loger que dans les non-dits, dans l'absence de la transmission par le texte loin des palabres redondantes. Transmettre les images de la violence coloniale au lendemain des manifestations du 8 Mai 45, fait partie des premières armes qu'il a choisies pour la construction d'un nouvel espace politique, au moins pour rappeler aux amnésiques que l'Histoire n'est ni un jeu d'enfants, ni un mensonge d'adultes. Que la guerre tue tel que le veut sons destin. Et lorsqu'elle est là chacun doit choisir son camp sans trop réfléchir. Tour à tour témoin et acteur, gardien d'une mémoire péniblement recollée, méticuleusement fouillée comme on fouille des poux dans la tête du pauvre, Harbi n'est pas homme à répondre à tout, mais sait renvoyer l'interlocuteur à ses propres miroirs, le mettre sur un chemin et le laisser libre de le parcourir, d'en éviter les embûches selon ses choix, selon les lumières et les ombres, selon les limites qui lui sont imposées. De tourner les pages dans le sens qui lui sied. De les déchirer s'il le faut pour en écrire d'autres s'il en est capable. Et qui mieux que « Si Mohamed » a su nous restituer ce que la guerre de sept ans a enfanté. Qui mieux que lui a su nous faire part des affres de la guerre, de la grandeur de certains et de la petitesse des autres. Tour à tour provocateur comme seul un intellectuel sait se montrer et sage comme seul les gens de l'écrit savent le demeurer, Harbi affiche sa jeunesse en plein soleil et vous regarde du bout de l'?il en laissant croire que l'espoir est possible, si... Si. Tel un monument, on peut le scruter, tourner autour, le prendre en photo, le peindre, l'archiver, le casser mais il en restera toujours un bout pour nous rappeler ses empreintes, son passage sur terre. Tel un exil, on peut le commenter, le vivre, le haïr, mais on ne peut jamais l'éviter. Telle une évasion de prison on peut le programmer, lui faire briser les chaînes, le torturer, il ne cessera jamais d'écrire. Il est comme ce personnage du « Titanic » qui affirme que tant que l'air circule dans ses poumons, tant que la lumière parvient à ses yeux, tant qu'il a un crayon à la main, il sera toujours heureux, qualifiant le bonheur du seul sens qu'il mérite : donner. Et il donne en militant pour ses idées, celles qui ont fait rêver ceux de sa génération lorsque, sortis de toutes parts, ils ont rejoint la voie des armes attirés par la plus belle des aventures, celle de la liberté. Harbi a répondu présent à tous les appels pour la démocratie, pour les droits des opprimés quelles que soient leurs couleurs et leurs origines. Il en a fait des verbes éloquents et des sujets dont il puise la profondeur dans son humanité légendaire. Dans ce que Fanon a martelé gardant le c?ur toujours à gauche, refusant de corrompre son parcours par généalogie incomplète de ceux qui croient qu'« il n'y a qu'une seule race, l'humanité ». L'hommage qui lui est rendu par « Avenpace Institution » à Oran, en cette fin du mois de janvier, juste après celui rendu à Fanon, est un pas de plus sur le chemin du retour aux sources. Car, comme le dit un proverbe tergui « quand on ne sait pas où l'on va, rappelons-nous d'où l'on vient ». En révélant ce qu'il a découvert, en fouillant l'Histoire, il nous invite d'abord à regarder le passé dans toutes ses composantes avant de juger. Dans ses malheurs comme dans ses joies. Dans ce que nous en avons fait comme de qu'il aurait aimé être. En observant le présent il se tait et en dit long par son silence. En interrogeant le futur il montre le chemin et garde l'index pointé sur nous, semblant nous dire « nous n'avons pas hérité cette terre de nos parents mais nous l'avons empruntée à nos enfants ».
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