Algérie

HALTES ESTIVALES Miliana, la cerise sur le Zaccar…



Par Maâmar FARAH
maamarfarah20@yahoo.fr
Quand vient l'été, mes pensées s'évadent et bourlinguent, malgré moi, à travers l'océan infini du temps, portées par les vagues de la mémoire et le vent des souvenirs. Toutes voiles dehors, elles s'en vont, par mers démontées, à la recherche de la terre ferme, vers ces lieux qui ont marqué ma carrière de reporter. Mais quand elles se posent enfin sur les hauteurs du Zaccar, dans la quiétude de ces étendues ombragées et câlinées par un doux zéphyr, tout près d'Aïn N'sour, elles ravivent la flamme d'un autre amour, perdu dans les sentiers abrupts qui traversent le royaume du cerisier.
Ah, il faut les voir ces cerisiers au printemps, habillés de fleurs aux couleurs tendres sous le ciel outrageusement bleu du Zaccar ! Au détour d'une piste rasant un charmant ruisseau où coule l'eau la plus limpide du monde, on tombe net devant un spectacle enivrant : une demeure entièrement cachée sous la végétation en folie qui coule comme une cascade herbeuse mouchetée de fleurs mauves ou roses, un moulin abandonné qui résiste vaillamment au temps, une clairière enfouie au plus profond de la forêt où l'herbe grasse et abondante accueille quelques vaches dodues… Qui ne connaît pas ces pentes verdoyantes donnant sur le vertigineux spectacle de la vallée s'étalant à l'infini, qui n'est pas monté plus haut que Miliana, pour aller, jusqu'au sommet du Zaccar, entendre le vent de la mer souffler sur l'autre versant, juste en face de Cherchell, ne peut pas savoir de quoi je parle. Là, loin de la modernité et de ses rites, on oublie la trépidante et routinière vie des centres urbains et leur stress pour se laisser aller à l'évasion sous les chênes, les pins et les merisiers, dans cette folle végétation faite de bruyères, de genêts, et d'arbousiers C'est un monde à part, emmailloté de lierre, riche de tant d'espèces végétales bien vivantes, bien prospères, nourries par la sève nourricière de la terre généreuse du Zaccar. On est happé par les chèvrefeuilles, les houx, les clématites et les salsepareilles. Pour ne pas faillir à la tradition, et parce que l'appel du devoir était le plus fort, Miliana livra des colonnes de martyrs à la longue lutte de libération du peuple algérien, lutte qui ne s'arrêtera qu'à l'aube du 5 juillet 1962, annonçant la fin de la longue nuit coloniale. Nourri aux sources de l'héroïsme ancestral qui a fait lever les fiers et farouches Berbères des monts du Zaccar contre les envahisseurs de toutes sortes, ce combat est raconté par chaque pierre, chaque arbre, chaque ruisseau, chaque prairie et chaque rempart de la fière et altière Miliana. Voici la sentence d'un officier supérieur de l'armée coloniale, De Castellane : «De tous les points que nous avons occupés en Algérie, Miliana est peut-être la ville où nos soldats ont eu à supporter les plus rudes épreuves.» Ce que j'aime dans Miliana, la ville où il fait bon vivre, c'est ce long boulevard bordé de platanes, immortalisé par le cinéaste Bouamari dans son film l'Héritage, qui descend vers la placette dominant Khemis Miliana et la vaste plaine qui l'entoure, avec une vue splendide que l'on ne se lasse pas d'admirer. Là, à l'ombre des arbres centenaires qui protègent du soleil agressif de la montagne, les retraités passent leur temps à papoter et à tuer le temps, en attendant d'aller savourer l'un de ces plats locaux savamment préparés par les belles Milianaises dont on dit qu'elles sont aussi de très bonnes cuisinières. Ensuite, ils feront honneur à un rite que l'on ne saurait en aucun cas transgresser : la sieste, dans la pénombre des vieilles demeures traditionnelles, havres de fraîcheur incomparables derrière les volets clos. Ensuite, ils reprendront leurs promenades jusqu'à la tombée de la nuit, préférant les terrasses des nombreux cafés pour continuer à bavarder et à refaire le monde, à parler peut-être de la panthère qui peuplait les monts du Zaccar à la fin du siècle dernier ou de la zorna, genre musical qui a conquis ses lettres de noblesse ici, grâce à Boualem Titiche et Mohamed Brazi, originaires de Miliana, qui furent les élèves du cheikh Medjeber. Et lorsqu'ils évoquent la lutte de libération, ils ne peuvent s'empêcher d'avoir une pensée émue pour le fondateur des scouts musulmans, Mohamed Bouras, fils de cette ville qui a tant donné au combat séculaire du peuple algérien pour la liberté et la dignité. Une fois, j'étais monté jusqu'au motel de Aïn N'sour. C'était une journée de neige persistante qui avait rendu la montagne aussi lactescente qu'un immense iceberg ! La voiture avait du mal à avancer à travers cette route à la limite de la praticabilité. Après un parcours éprouvant où les arrêts furent nombreux, l'automobile stoppa net, refusant d'avancer car ses roues étaient dévorées par la neige. Heureusement qu'on n'était plus très loin de l'hôtel, une belle bâtisse de pierres surmontées d'une toiture en tuiles, fouettée par les vents des cimes. A l'intérieur, une grande cheminée nous attendait pour nous faire oublier les durs moments du voyage. La nuit, après un repas bien chaud parachevé par une tisane apaisante, nous nous retirâmes dans nos chambres pour méditer les péripéties de cette journée bien remplie. Dehors, la neige tombait sans arrêt et ses flocons venaient nous saluer derrière les vitres, comme pour nous signifier qu'il ne serait pas possible de partir le lendemain. Ni le surlendemain d'ailleurs. Nous étions prisonniers. Mais qu'elle était belle cette prison plantée tout à fait en haut du Zaccar, là où les hommes ont le cœur si chaleureux qu'il donne aux hivers des airs de printemps…


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