Halima Guerroumi. Auteure, artisteHalima Guerroumi / Photo : D. R.
Halima Guerroumi, artiste, enseignante en arts appliqués et inspectrice de l’éducation nationale en design et métiers d’art à l’académie de Créteil (Île-de-France), dans Figures algériennes (Orients éditions, juin 2021. Préface de Wassyla Tamzali), dresse les parcours et illustre les visages de quarante-trois figures qui ont «construit l’Algérie».
Elles sont guerrières, imames, résistantes, écrivaines, musiciennes, actrices, martyres. Certaines sont renommées, d’autres oubliées. Elles incarnent pour Halima Guerroumi la lutte pour les droits des femmes. Elles ont pour noms Tin Hinan, La Kahina, Fatma Tazoughert, Lalla Fatma N’Soumer, Lalla Yamina Tidjani, Lalla Zineb, Isabelle Eberhardt, Dassine Oult Yemma, Baya, Djamila Boupacha, Zoulikha Oudaï, Assia Djebar, Fadhma Aït Mansour Amrouche, Meriem Fekkaï, Souad Massi, Katia Bengana….
«Le livre souhaite délivrer un message totalement dans l’air du temps. Il permet de donner des références et de l’ambition à des enfants en leur présentant le destin de grandes femmes qui ont fait bouger le monde. Donner à voir ces femmes d’exception, pour ne pas faire perdre de temps», nous dit Halima Guerroumi dans l’entretien qui suit.
Pourquoi un livre sur des figures féminines algériennes ? Est-ce un parti pris féministe ?
Le livre pose la problématique des transmissions dans toute sa généralité et dans toute sa complexité en abordant l’histoire algérienne. La reconstitution de ces histoires m’a permis de dégager l’influence des femmes et l’importance de mettre le féminin comme fil conducteur. Plus qu’un parti pris féministe, il s’agissait plutôt de recherche d’égalité. Sa genèse est issue par la curiosité de l’incuriosité.
En tant que femme d’origine algérienne, le récit national au féminin m’a paru très limité dans son approche. Et pourquoi se limiterait-il à des modèles ? Pourquoi n’existerait-il pas autant de modèles et de sources d’inspiration que de femmes ? Mais ce parcours est aussi issu d’un besoin, d’un manque. Raconter des histoires, et à travers son histoire, pour mieux comprendre son identité multiple.
Diriez-vous que votre livre est une réappropriation de la figure féminine algérienne à travers des personnes emblématiques ?
Une réappropriation de notre histoire certainement, son histoire liée à une mémoire commune. Le choix de l’aborder autour du prisme féminin, et surtout à travers des illustrations, a été très certainement le moyen pour moi de le rendre accessible. Un moyen de dominer le récit de soi, de son histoire, et d’être ainsi à même de le transformer à ses propres yeux comme à celui des autres. Des références, des modèles non liés à une vision politique, mais à une richesse culturelle.
Pour moi, appartenir à une culture, à une histoire, c’est aussi mieux l’appréhender. En tant que femme française d’origine algérienne, je suis faite d’une somme de caractéristiques qu’il faut assumer et qu’il faut transmettre afin d’éviter des écueils.
La génération à venir en a besoin et le demande aujourd’hui. Sa construction passe par des portraits, des mots honnêtes et intelligents. Et pour moi, de grandes figures féminines. J’ai écrit sur des femmes qui ont trouvé la force de surmonter leurs difficultés, elles se sont débrouillées seules face à une société parfois sourde. Elles ont su être indépendantes.
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Quel a été le fil conducteur qui vous a amenée à cette sélection de figures féminines ?
Je souhaitais dresser une sorte de panorama de portraits féminins tout en sachant dès le départ que je ne pourrai pas le faire de manière exhaustive. J’ai donc choisi les sujets qui m’intéressaient particulièrement.
Ce n’est pas un livre d’histoire, c’est une démarche très personnelle et très spontanée. Je m’étais donné comme contraintes d’illustrer des figures s’étant illustrées dans différents domaines et ayant différents médiums d’expression. Aussi, au fur et à mesure de mes investigations, il m’a paru important de donner à voir des figures célèbres aux côtés de celles moins connues. J’avais envie non seulement de raconter, mais surtout de dessiner, le dessin est très important.
Que représentent les femmes que vous avez choisies de mettre en lumière ?
Ces personnalités choisies, liées à une diaspora française, vont du patrimoine précolonial jusqu’à notre période contemporaine et suivent une ligne chronologique. J’ai une conviction profonde : l’avenir de l’Algérie est bercé par ses femmes.
Longtemps, on a véhiculé une image erronée de nous, de notre histoire, de nos luttes. Longtemps, nous avons été perçues comme des femmes soumises. Il flotte, quelque part, quasi insaisissable, une dette envers nous, celle qui nous rendra notre image affectée et fera éclater la vérité sur nos luttes. L’heure est venue pour nous d’éduquer une génération de femmes et d’hommes libres et de donner à voir des références de femmes, parfois injustement méconnues.
Si l’on vous demandait de représenter l’incarnation féminine du récit national, quelle serait votre réaction ? Choisiriez-vous une figure en particulier ? Si oui, laquelle ?
Je crois intimement que c’est dans la pluralité des modèles que nous nous rendons compte de la richesse de notre culture. Pour moi, il n’y a pas une et unique incarnation mais bien une florissante galerie de figures dans laquelle chacun peut puiser ses références. C’est en proposant et en donnant à voir cette richesse que l’on sortira de ce rapport «d’exception». Le livre souhaite délivrer un message totalement dans l’air du temps.
Il permet de donner des références et de l’ambition à des enfants en leur présentant le destin de grandes femmes qui ont fait bouger le monde. Donner à voir ces femmes d’exception, pour ne pas faire perdre de temps.
Vos portraits sont légers, chaleureux, vivants, malgré tout ce qu’ils portent comme poids de tragédies, de souffrances, de mépris et d’humiliation ?
Il me paraissait primordial de rendre accessibles ces femmes à travers le traitement graphique. Ce fut ma manière de leur donner une lumière, de leur donner vie. Il y a eu des périodes très difficiles pour moi à illustrer, et certainement que de les intégrer dans un univers coloré m’a permis de créer cette distance nécessaire derrière certaines des figures au destin tragique.
Considérez-vous, à l’instar de Wassyla Tamzali, qui a préfacé votre livre, que les femmes doivent se libérer des icônes qui les retiennent captives ?
Oui, en effet. Les icônes peuvent aussi être un étendard derrière lequel une société s’immobilise. Il est souhaitable qu’elles restent des sources d’inspiration et rien de plus. Des repères, oui, des références, oui mais non des prétextes. Cette charge, ce poids, peuvent en effet être un frein aux représentations possibles, aux nouveaux exemples, à ce pluriel, cette diversité qui manque cruellement à notre société.
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Posté Le : 17/08/2021
Posté par : litteraturealgerie
Ecrit par : Nadjia Bouzeghrane
Source : El Watan - 03 JUILLET 2021