Après avoir fait un bout de chemin ensemble dans l'objectif de se débarrasser de leurs potentats respectifs, Algériens et Soudanais ont dû se résoudre à faire bande à part. Si Bouteflika a démissionné après avoir semé derrière lui autant de mines que l'armée française à nos frontières, durant la guerre de Libération, mais Omar Al-Bachir est encore là, et son armée aussi. Bien sûr, les deux peuples continuent à manifester, mais avec des mots d'ordre et des conséquences différentes : si le mouvement du 22 février reste pacifique, au Soudan c'est violent. En Algérie, l'armée a pris fait et cause pour le peuple et a donné le coup de pouce fatal au départ de Bouteflika, mais au Soudan, le dictateur s'entête, et l'armée semble être avec lui. Réaction symbolique, pour la première fois, des manifestants se sont attaqués pour la première fois à une caserne de l'armée, alourdissant davantage le bilan des morts et des blessés. Autre différence notable : si l'Algérie veut exorciser la violence, en manifestant massivement et pacifiquement, les Soudanais, excédés par les réactions de leur Président, ont perdu patience. Depuis décembre dernier, le nombre des victimes s'énonce par dizaines, à ajouter aux 380 000 morts de la guerre civile, menée par Al-Bachir, et qui a abouti à la sécession du Sud-Soudan.On comprendra alors pourquoi en vertu du mort kilométrique, et c'est le cas de le dire, les médias des pays de la Ligue arabe, dont les monarchies du Golfe, sont plutôt intéressés par le Soudan. Certains journaux ont opté pour ce qu'on pourrait appeler par euphémisme l'exorcisme par ignorance délibérée : pour éviter la contagion, on ne parle pas des sujets dangereux. Et si on fait un peu de place à l'Algérie, en plus du Soudan, c'est par le biais des reprises des informations d'agences de presse internationales, et pour ne pas rater un évènement. Exemple intéressant, le dernier commentaire du quotidien des Emirats Al-Itihad remonte au 18 mars et ressemble plus à une supplique adressée au ciel qu'à une analyse. Le titre est évocateur « Que Dieu protège l'Algérie et son peuple », un v?u pieux qui peut être repris à son compte aussi bien par le peuple que par l'ambitieux Président qu'il conteste. D'entrée, le commentateur Mohamed Hassan Al-Harbi évoque les « Printemps arabes » et leur échec cuisant du fait des « mains étrangères » et entrevoit le même sort pour l'Algérie. Pourquoi ' Parce que, affirme-t-il, il y a des groupes qui complotent pour détourner les mouvements populaires spontanés de leur voie en détournant, par exemple, leurs mots d'ordre.(1)
Notre bienveillant confrère conseille la prudence et la vigilance contre les adversaires à l'intérieur du mouvement et les infiltrés de l'étranger en notant que la Libye n'est pas loin.
Mais il y a plus proche que la Libye, ajoute-t-il, « car l'Algérie est entourée de groupes humains qui ont encore des relations privilégiées avec la sauvagerie, par haine de la vie. Elle est aussi menacée par des cellules, dont les membres ne dorment jamais, et sont réfractaires à la religion ». En conclusion, le commentateur a prévu (c'était le 18 mars dernier) un avenir sombre pour de tels mouvements dans le monde arabe, et dit y voir l'ombre de Bernard Henri-Lévy.(2) Nous voilà donc menacés d'un nouveau péril, sitôt parvenus à réaliser l'un des objectifs premiers du mouvement, à savoir le départ, plus ou moins volontaire, du Président Bouteflika.(3) A entendre certaines voix, le maréchal libyen Haftar serait le nouveau péril à notre frontière sud-est, et il serait une menace sérieuse pour le devenir du mouvement du 22 février. En écho aux inquiétudes émises par nombre de « hirakistes », plus ou moins « marsiens », sur certaines chaînes nationales, le quotidien Al-Quds de Londres confirme et affirme. Selon le journal qatari, dont on connaît depuis peu l'alliance avec Erdogan contre l'Arabie Saoudite et les Emirats, l'offensive de Haftar sur Tripoli aurait été décidée en accord avec l'Arabie Saoudite.
C'était le 27 mars dernier et quatre jours avant le Sommet arabe de Tunis, lors d'un entretien du maréchal Haftar avec le roi Salmane portant sur le processus de paix en Libye. Au cours de l'entretien, le monarque a fait part à son interlocuteur de « l'attachement du royaume à la sécurité et à la stabilité de la Libye ». Or, note le journal, « cet attachement » s'est traduit concrètement par la décision de rallumer le brasier libyen et de faire échec au « Printemps algérien ». Et de rappeler que « l'arrogant général avait menacé en septembre 2018 de déclencher une guerre contre l'Algérie, à cause de la façon dont elle exploitait la crise libyenne ». Ceci expliquant cela, Al-Quds consacre donc un sujet aux slogans brandis par les manifestants en Algérie et dans lesquels reviennent de plus en plus les noms de l'Arabie Saoudite et des Emirats. Photos à l'appui, le journal affirme que les slogans hostiles à la monarchie wahhabite et à l'émirat ont été encore plus nombreux et plus durs lors du 7e vendredi de marche. Ce qui est certain, c'est que l'escalade militaire en Libye menace directement la sécurité à nos frontières, si tant est que Haftar soit effectivement l'agent des Saoudiens, ce qui n'est pas à écarter. Haftar pourrait également être le prétexte rêvé pour que certaines forces occultes remettent en cause le processus de changement en cours depuis le 22 février.
A. H.
(1) Allusion indirecte aux slogans contre les Emirats qui ont fait leur apparition lors des marches du vendredi.
(2) Dire qu'il fut un temps où BHL avait été accueilli ici en héros, couvert d'éloges, c'était durant la décennie noire, et il était venu ici soutenir l'Algérie contre le terrorisme.
(3) Personnellement, et comme j'en ai fait part sur Facebook, j'ai trouvé le Président démissionnaire particulièrement épanoui par rapport à ce qu'on avait vu de lui quelques semaines auparavant.
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Posté Le : 08/04/2019
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : Ahmed Halli
Source : www.lesoirdalgerie.com