Algérie

HADJ NACER ABDERRAHMANE À L'EXPRESSION «Je participe au débat politique à ma façon»


HADJ NACER ABDERRAHMANE À L'EXPRESSION «Je participe au débat politique à ma façon»
«Je refuse de rentrer dans le débat sur la nature des réformes»


«Les internautes ont compris, à juste titre, que je ne cherchais pas à gagner de l'argent, mais à diffuser des idées.»


L'Expression: M. Hadj Nacer, votre récent livre La martingale algérienne a été épuisé. Vous êtes sur un deuxième tirage de 2000 exemplaires. Quelle explication donnez-vous à ce succès?
Hadj Nacer: Je pense qu'il y a plusieurs catégories de personnes qui se sont retrouvées dans mon livre. Mais disons que pour le premier tirage de 1000 exemplaires ce n'est pas grand-chose. Par contre, ce qui est plus impressionnant, c'est que ce livre circule beaucoup par Internet. Les internautes ont compris, à juste titre, que je ne cherchais pas à gagner de l'argent, mais à diffuser davantage des idées. C'est pour cela qu'ils sont autorisés à le diffuser par le Net. D'ailleurs, même l'éditeur a joué le jeu et n'a rien trouvé à redire. Cependant, malgré sa diffusion sur Internet, la demande en livre-papier s'est accrue au point qu'au moins une édition pirate est apparue sur le marché. Ce qui m'a encore intéressé davantage. C'est aussi ces groupes de jeunes qui ont trouvé dans ce livre un sujet de discussion et cela, ça m'a réellement fait plaisir. Auparavant, je craignais de ne pas atteindre ce public aussi vite que je souhaitais... donc, c'est ce résultat inattendu qui a justifié de nouvelles éditions. Il faut dire que cette nouvelle livraison m'a permis de rajouter un chapitre qui correspond à l'expression de mes clés personnelles sur la crise internationale. Il s'agissait de donner une lecture assez personnelle de cette crise mondiale sur laquelle on nous ment allègrement.

Des observateurs pensent que les réformes politiques en Algérie tardent à venir. Est-ce votre avis?
Premièrement, je pense qu'il y a un débat sur la nature des reformes politique. Deuxièmement, sur l'ampleur des réformes. Troisièmement, il existe aussi un débat sur les acteurs qui doivent débattre de ces réformes. A ces trois niveaux on se rend compte qu'il n'y a pas eu d'arbitrage. C'est pour ça qu'on patine autour du concept des réformes.

Vous êtes trop bref dans votre réponse. Vous bottez en touche pour un sujet aussi important?
Je refuse de rentrer dans le débat sur la nature des réformes, parce qu'il est nécessaire de répondre aux trois questions soulevées. Je suis un citoyen et je participe à ma façon au débat, notamment à travers le livre La martingale algérienne. Si je parle maintenant, c'est parce que La martingale étant sortie, je ne peux me cacher derrière une obligation de réserve quelconque. Mais je n'ai pas de réponse absolue à apporter sur des réformes politiques. Mais lors d'un débat, je peux effectivement donner des lectures, mais personnelles. Je pose trois conditions qui renvoient à trois niveaux de compréhension de cette question, sinon il n'y a pas lieu d'avoir un débat.

Justement, les Algériens regrettent l'absence du rôle que doivent jouer les intellectuels et l'Université algérienne dans ces débats politiques.
A partir du moment où l'on pousse l'intellectuel à la porte et de l'université, au point de les pousser à aller à l'étranger pour se reproduire au sens technique du terme rien que pour assurer l'avenir de leurs enfants, effectivement, ils se retrouvent absents sur la scène politique et économique nationale. Mais n'oublions pas tout de même, qu'ils participent à partir de l'étranger. Mais là, on est dans un non-sens. C'est-à-dire on produit des intellectuels au profit de l'économie externe et de la vie universitaire internationale, au détriment du pays. Effectivement, on se retrouve avec des capacités de production internes qui s'appauvrissent de plus en plus et après, on dit qu'il n'y a pas de débat. Il existe toutefois, dans l'Université algérienne, des voix qui s'expriment, bien qu'on ait réduit le système d'enseignement de l'école à l'université à une espèce de grande garderie qui permet d'éviter l'arrivée sur le marché du travail de générations entières. On ne veut pas produire des intellectuels au sens critique du terme. Il n'existe même plus vraiment d'intellectuels organiques du système, au sens de Gramsci. Ceci dit, on produit des gens qui lisent un peu les journaux et surtout les répertoires sportifs etc. On détruit même la capacité conceptuelle, puisqu'on ne transmet aucune langue. On ne transmet correctement ni l'arabe, ni le français et puis on s'étonne des résultats et autres conséquences négatives. Il existe, aujourd'hui, une masse de gens qui parlent uniquement une espèce de sabir (charabia), assez amusant et même créatif, parce que tout n'est pas moche dans un sabir, il peut même être beau, contenir des formules heureuses. Mais néanmoins, il est difficile de conceptualiser avec ce niveau de langage. On est surpris à l'occasion de la révolution tunisienne d'entendre les Tunisiens dans leur majorité s'exprimer dans une langue arabe ou française correcte, et nous qui maîtrisions et avions les meilleurs professeurs d'arabe et de français, une des meilleures universités, des meilleurs intellectuels des deux langues, maintenant nous n'avons plus rien. Voilà l'explication sur la faiblesse du nombre d'intellectuels et de l'université dans le débat politique national.

Le Snmg est à 18.000 DA, plus la suppression de l'article 87 bis, qui bloque toute démarche de politique nationale salariale, mais beaucoup reste à faire selon les syndicalistes...
Si l'on parle d'une tripartite qui est un mode de négociation tout à fait logique, encore faut-il que les acteurs impliqués soient dotés de légitimité. Donc, la question se pose de la manière suivante:
-Est-ce que ce gouvernement est doté de légitimité?
-Est-ce que ce syndicat a la légitimité?
-Est-ce que ces représentants du patronat ont la légitimité?
Ceci dit, si l'on répond correctement à ces trois questions relatives à la légitimité des trois acteurs, on peut considérer le débat autour du Snmg. Or nous nous rendons bien compte que les arbitrages sont conduits sous forme monétaire, sous forme d'encaisses, comme des cadeaux octroyés à la population, sans contrepartie. Or, ils sont considérés par cette même population comme étant insuffisants car ces octrois ne correspondent pas à la profondeur de leurs revendications.
Cette inadéquation explique la surenchère pécuniaire. Car la question posée par la population, n'est pas une question d'argent, mais c'est une question de justice sociale, de dignité, d'émancipation et d'accès à la citoyenneté. Il est évident que la question de la justice ne se règle pas en rajoutant 200 DA/jour ou 1000 DA ou toute autre somme d'argent.
La population se rend bien compte, qu'il n'y a pas de réflexion technique ou politique. A chaque fois qu'on observe un mouvement d'un prix quelconque, cela introduit un déséquilibre encore plus profond qu'auparavant, parce que, justement, il n'existe pas de réflexion globale en termes de prix relatifs entre salaires/prix libres et prix de première nécessité. Par exemple, on augmente le Snmg, mais à chaque fois on oublie les retraités. On rajoute aux retraités et on oublie les marins-pêcheurs et autres secteurs. C'est-à-dire, à chaque fois on refait les mêmes erreurs en oubliant tel ou tel secteur. Dans ce cas, l'exercice devient très compliqué. Il ne faut pas oublier qu'il y a une règle essentielle dans l'économie qui est l'équilibre général des prix. Cela dit, quand on bouleverse ou on casse l'équilibre des prix, la tâche devient très compliquée. Nous voyons aujourd'hui, un pays comme l'Egypte contraint de consacrer 30% de son budget au soutien des prix. C'est injouable et insoluble sur plusieurs générations.
En Algérie, nous sommes de la même façon en train de pousser le pays qui est un pays riche, dans ce même type de gabegie et de mauvaise gouvernance que l'Egypte. Et encore, en Egypte, ont-ils une industrie que nous n'avons pas, un tourisme que nous n'avons pas.
Quand vous analysez la macro-économie de l'Egypte qui est un pays pauvre, vous vous rendez compte d'un équilibre que nous n'avons pas en Algérie. Nous nous dirigeons vers un même déséquilibre qu'eux. Il existe un réel problème de stratégie économique dans notre pays.

Quelle est votre analyse sur l'ouverture de l'audiovisuel au secteur privé?
Je ne crois pas qu'un privé peut dans le même temps avoir un quasi-monopole dans un secteur, posséder une équipe de foot, posséder des journaux sur différents supports et investir dans l'audiovisuel.
Il y a un problème. On ne peut pas créer des groupes aussi puissants, bien que je ne sois pas contre l'idée du groupe, mais cela suppose un contre-pouvoir. Or dans le Code de l'information encore en vigueur, il me semble qu'il n'était pas possible de détenir 100% du capital, il fallait que la société des rédacteurs détienne le tiers (1/3) du capital. Justement afin qu'il y ait un minimum de contre-pouvoir, celui des professionnels. Nous avons besoin de réfléchir un peu plus pour la mise en forme et mise en scène de pouvoirs nouveaux dont on ne mesure pas les implications pour le futur. Ce n'est pas un parti pris contre un privé particulier, ce n'est un parti pris contre personne, mais plutôt contre l'absence d'une détermination, d'une réflexion anticipative sur les risques que nous encourons à travers cette mise sur le marché de manière un peu brutale.

Dans le même sens, on parle d'une nouvelle loi sur les partis politiques, alors qu'il n'y a pas longtemps, la scène nationale a connu plus de 65 partis.
Là je suis obligé de renvoyer la question à la première analyse. Mais qui a débattu avec qui? C'est quoi le nouveau contrat politique et social du pays? Il n'est pas possible de se prononcer en termes de «je suis contre X ou Y», mais en nous interrogeant plutôt «sur quelle base doit-on se prononcer»? Est-ce sur des sympathies personnelles, sur la base d'un programme politique? Ou sur celle de l'adhésion de la population? Ne me demandez pas de donner mon avis, tant que je ne sais pas sur quelle base je dois prendre position. J'ai pu le faire sur l'audiovisuel, parce que le danger est là. On ne mélange pas le pouvoir et l'argent aussi facilement. C'est une chose sur laquelle on doit réfléchir. Se battre pour des champions nationaux c'est une urgence nationale. Mais qu'il y ait des champions privés qui symbolisent la confusion et la concentration des pouvoirs politique, pécuniaire, syndical, pouvoir de l'information. Cette confusion s'oppose à un système dit démocratique qui, lui, repose sur la séparation des pouvoirs.

La situation en Libye concerne directement l'Algérie, comment analysez-vous la position algérienne dans cette guerre?
Ecoutez, honnêtement, je n'ai pas toutes les données qui me permettent d'analyser correctement la position algérienne. Néanmoins, en tant que citoyen algérien, je considère que c'est un devoir pour l'Algérie de faire quelque chose pour ce pays et pour l'intérêt mutuel. La Libye, c'est la continuité de l'Algérie. Nous constituons un même peuple depuis des dizaines de milliers d'années, il ne faut jamais insulter l'Histoire et encore moins la géographie. Ce n'est pas aux étrangers de venir faire un travail en Libye pour lequel nous sommes équipés. Je pense qu'on aurait pu faire ce travail avec l'accord de la communauté internationale, en faveur des intérêts du peuple libyen. Encore fallait-il, que nous fassions un tri clair entre les diverses forces politiques et leurs intérêts, que nous indiquions de façon claire quel était l'intérêt stratégique de la région. Derrière des bombardements faciles, l'éclatement de solidarités ancestrales et la transformation d'un tyran d'opérette en héros pour oublier par qui il fut imposé, se cachent des desseins géopolitiques qui nous concernent et qu'il convient de bien analyser.