Algérie - Troisième âge

Hadj Mansour: Le coiffeur du village



Hadj Mansour: Le coiffeur du village
19. Hadj ManSour : Le coiffeur du village

«Chut, pas un mot, ton père me l’a ordonné». C’est par ces deux petites phrases que notre bonhomme est devenu célèbre. Il s’agit-les gens d’Oued Sly l’auront deviné– du coiffeur de notre village, M. Merouani Mansour, devenu «Hadj Mansour » u n peu plus tard. I l était certes de petite taille mais il avait un grand coeur. Dans sa petite boutique, déferlaient jeunes et vieux, riches et pauvres, gentils et méchants. Il les recevait tous avec de la joie et de l’engouement. De par son métier, il connaissait presque tout le monde car notre village n’était pas
aussi peuplé comme il l’est aujourd’hui. Et puis, il avait le monopole sur nos cheveux puisqu’il n’y avait que lui et M’hamed Bendaoudia Missoum, à l’autre bout du village.

«Hadj Mansour» avait fait beaucoup de métier avant de s’intéresser à la coiffure. Il a commencé sa carrière comme tailleur d’arbres fruitiers, puis il est passé maître tailleur après quelques années. Ensuite, il est devenu un expert planteur d’arbrisseaux fruitiers pour toute la région d’Oued Sly. Personne ne pouvait prétendre le
valoir dans son métier, mais le problème, c’est que ce n’était qu’un travail temporaire. En effet, on ne plantait pas les arbrisseaux tout le temps, donc il fallait penser à un autre métier dont il ferait son gagne-pain. Son discernement le guida tout droit vers la coiffure.
Au début, il n’avait pas de local. Il rasait la barbe aux gens tout près de chez lui, mais la chaleur en été et la pluie et le froid en hiver l’obligèrent à penser à construire un local pour recevoir la clientèle dignement. Il fit appel à Djelloul Djehafi, un maçon chevronné tout juste revenu de France où il a passé quelques années pour lui en construire un.

Anecdotes et nouvelles du village

Son échoppe, construite à la hâte, était modeste. L’ameublement était constitué d’un vieux banc en bois sur lequel les clients s’asseyaient, et de deux fauteuils, l’un pour les besoin du travail et l’autre pour les amis intimes qui lui tenaient compagnie dans ses rares moments de solitude.
Pour tout décor, il n’y avait que quelques photos jaunies par le temps accrochées au mur, quelques vieux journaux et magazines posés sur une petite table, pour permettre aux clients de passer le temps. Quelques rares clients se donnaient la peine de lire, les autres feuilletaient les magazines pour regarder les photos, mais ne les trouvant pas intéressants, les rejetaient mais déviaient plutôt leurs regards vers des images obsolètes représentant l’Ange Gabriel tendant le bélier au prophète Abraham ou Adam et Eve autour de l’arbre interdit. Hadj Mansour décrocha ces images quelques années plus tard quand il apprit que c’était «pêché» de personnifier les hommes saints.

Tout en vous coupant les cheveux ou en vous rasant la barbe, Hadj Mansour ne s’arrêtait jamais de parler. Il tenait à ce que le client ne s’ennuyât pas. Ses histoires, on les écoutait avec allégresse, tout en se demandant d’où est ce qu’il pouvait bien tirer toutes ces anecdotes. Les gens trouvaient chez lui les nouvelles fraîches du village. On se renseignait auprès de lui de tout et de rien. Ses sujets de discussions étaient divers, mais il s’abstenait catégoriquement à parler politique car, il faut dire qu’à cette époque-là, le régime de Boumediene avait des yeux partout et veillait sur tout, alors il valait mieux éviter les problèmes. Mais malgré tout, sa compagnie était légère et son travail irréprochable.

La brosse, la coupe et la boule à zéro
Quand nos parents nous emmenaient chez lui le matin et repartaient faire leurs besognes quotidiennes, ils savaient qu’on était entre de bonnes mains. Dès qu’il finit de nous faire couper les cheveux, il nous conseille de rentrer directement chez nous. Sinon il ne manquera pas de les aviser s’il voit qu’on rode au lieu d’aller chez soi. Autant dire qu’il contribuait grandement à notre éducation.

Son travail était des plus simples. Il nous coupait les cheveux et rasait la barbe pour les plus âgés. Il ne savait pas embellir. Pour lui, c’était soit une brosse, soit une coupe, soit une boule à zéro pendant l’été. Une fois le travail fini, il sortait un flacon pour nous asperger d’un parfum agréable qui nous restait collé à la peau jusqu’au lendemain. Et on rentrait tout content chez nous. Son souci était d’élever ses enfants dans la dignité. Il n’a jamais cherché à devenir riche. C’était impensable pour lui. Et puis, le pouvait-il même s’il l’avait voulu, avec les quelques dinars que lui payaient les clients, tout en sachant qu’une coupe de cheveux coûtait à peine 5 dinars et une barbe 3 ou 4 dinars seulement.

Et puis, un jour, vers le crépuscule de sa vie et alors que sa santé se fragilisait et que ses jambes ne pouvaient plus supporter d’être debout pendant des heures, il confia sa boutique à ses fils Abdelkader et Abed, non sans leur avoir appris les ficelles du métier. Une fois la relève assuré, le bon Dieu l’aida à accomplir le pèlerinage à la Mecque, ensuite il prit sa retraire et finit les derniers jours de sa vie en compagnie de ses amis de toujours : Si Benhalima Omar et Mihoubi Khelifa, plus connu sous le nom de Khelifa Daoudar. Son fils Abdelkader » m’a appris qu’ils se dévouaient secrètement à aider les pauvres dans la mesure de leurs modestes moyens et à réconcilier les gens qui avaient des litiges entre eux. Et c’est ainsi que notre coiffeur termina sa vie jusqu’au jour où le bon Dieu le rappela à lui.



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