Algérie

Hadj lazib, ancien cadre supérieur du secteur du travail, de l'emploi et des affaires sociales, à 'Liberté" 'La politique d'emploi des jeunes devrait être centrée sur les besoins des entreprises"


Hadj lazib, ancien cadre supérieur du secteur du travail, de l'emploi et des affaires sociales, à 'Liberté
Dans cet entretien, ce spécialiste des questions liées à l'emploi tente d'évaluer les politiques menées jusqu'ici en matière de lutte contre le chômage. Il préconise une politique d'emploi adossée à une véritable stratégie économique privilégiant en particulier l'affectation des ressources de l'Etat vers le secteur productif.
Liberté : En votre qualité d'ancien cadre supérieur du secteur du travail, de l'emploi et des affaires sociales, quel regard portez-vous sur la politique actuelle de l'emploi dans notre pays '
Hadj Lazib : D'abord, il est difficile de porter une appréciation tant les données se rapportant à la matière sont contestées par les observateurs nationaux et étrangers. Savez-vous, par exemple, qu'à la fin des années 80, on estimait que pour maintenir le chômage au même niveau, il fallait, la décennie suivante, créer une autre Algérie du travail, soit aboutir à une population active occupée, sensiblement équivalente à celle enregistrée actuellement. Ceci dit les politiques menées renvoient de ce qu'on appelle le traitement social du chômage. Elles sont souvent qualifiées de politiques passives ou d'attente. Elles sont utiles en situation de chômage élevé et systématiquement préconisées par le FMI dans le cadre de son programme d'ajustement structurel afin d'amortir ou d'atténuer ses effets désastreux sur l'emploi. En Algérie, on y a recouru les premières années de l'Indépendance au milieu des années 80 et amplifié les dispositifs sous des formes diverses Tuphimo Esil, pré-emploi... depuis la mise en 'uvre du PAS. Ces opérations consistaient à occuper une partie de la population active en âge de travailler, singulièrement les jeunes en attendant la reprise ou la relance économique. Il s'agit pour l'essentiel, par la dépense publique, de créer des postes d'emploi souvent sous-qualifiés, précaires et à faible valeur ajoutée. Souvenons-nous de ce ministre de l'Emploi et de la Solidarité, qui, recevant une délégation de jeunes universitaires qui avaient organisé un rassemblement pour l'emploi, les 'rassurait" en leur annonçant l'importation prochaine de sanisettes. Même les facilitations accordées aux jeunes pour la création d'entreprises au moyen de crédits, dont on sait que la plupart seront détournés de leur destination et qu'ils ne seront pas honorés, s'apparentent à ce traitement social. En cas de déficience, les fonds de garantie sauront y pallier.
En fait, de façon plus générale, les autorités publiques ont confondu rétablissement des équilibres financiers qui rappelons-le, s'est traduit par la liquidation de plus de mille entreprises et plus de 500 000 travailleurs licenciés, avec une politique de relance. Plus grave encore, c'est avec l'amélioration considérable des ressources extérieures à la faveur de la valorisation des prix des hydrocarbures, qu'elles en sont venues à occulter la question première et fondamentale du pays, celle de 'son développement".
Une bonne part de ces ressources importantes auraient pu être orientées de façon judicieuse, et en tout cas, plus efficace, dans l'emploi de jeunes, autour des besoins d'entreprises (PME, PMI) en priorité de ceux importés (intrants, produits semi-finis, outillages, pièces de rechange...), de sorte à améliorer le maillage industriel, ou de ce qu'il en reste. À la fin des années 80, le ministère de l'Industrie avait produit un rapport en ce sens intitule 'la création d'emploi organisé et intègre CEOI". Il est depuis tombé aux oubliettes. Il est indispensable de reprendre la démarche élargie à l'ensemble du secteur économique, pour créer et dynamiser une synergie de développement autocentré. Nous importons 70% de nos besoins grâce aux hydrocarbures, qui représentent le double de nos moyens de paiements extérieurs de ce qu'ils étaient dans les premières années de l'Indépendance, soit 98%. Ensuite, cet effort devrait servir la valorisation des ressources et potentialités locales à l'échelle communale, wilayale et régionale ainsi que leurs besoins liés à l'activité économique ou à leur vocation évidente ; pour peu qu'ils soient identifiés par des autorités nommées ou élues mais légitimes. Ces dernières doivent êtres en capacité d'y faire face et dont la préoccupation principale doit être l'intérêt général car soumises à la sanction de la hiérarchie de l'Etat régalien et des exigences citoyennes.
Enfin, comment passer sous silence les vastes chantiers de la restauration des sols de ceux liés aux défis de l'avenir que posent les sciences et techniques et l'écologie. Ces points n'épuisent pas le sujet. Il s'agit juste d'illustrer combien cet effort, pour ne pas être réduit à une simple redistribution de la rente ; doit être adossé à une stratégie nationale de développement et à une coordination plus grande des institutions chargées de l'emploi, de la formation et du chômage, à l'organisation des concertations les plus larges des partenaires socioéconomiques, avec encore une fois, des pouvoirs légitimes qui doivent rendre compte.
Nous assistons à une forme de radicalisation du mouvement des jeunes chômeurs dans les régions du sud du pays que certaines parties assimilent à de la manipulation politicienne, voire à des ingérences étrangères. Quelle lecture vous en faites '
Concernant la radicalisation du mouvement des chômeurs dans les régions du Sud associée à des manipulations politiciennes voire à des ingérences étrangères, c'est proprement surréaliste. Il me vient à l'esprit qu'au cours des années 70, où jeune cadre au ministère du Travail et des Affaires sociales, je participais à l'établissement de notes quotidiennes, mensuelles et annuelles accompagnées de propositions de mesures à présenter au gouvernement. Un cadre releva que le secteur de l'agriculture était épargné par les grèves fort nombreuses en 76, 77, et 78. Un autre, aujourd'hui décédé, lui répliqua, que probablement ce secteur était entré en hibernation et peut-être même en putréfaction. Ceci pour dire, qu'un organisme vivant, s'exprime, et se manifeste. On oublie que l'une des premières associations des chômeurs a été créée à Tiaret et qu'elle a organisé une marche imposante de Staouéli à Alger en 1989. En fait, ce qui inquiète, bien que ce mouvement se déclare apolitique, c'est qu'il heurte de front la politique économique. Une politique qui tourne le dos à l'exigence du développement en faisant le bonheur des barons de l'import. En 2008, il semble que sur 12 milliards de dollars accordés au secteur privé, 9 ont été alloués à l'import. D'ailleurs, le mouvement des chômeurs n'a-t-il pas identifié et dénoncé, à travers les dernières manifestations violentes organisées, des députés milliardaires. En vérité, ce qui doit inquiéter une certaine oligarchie prédatrice et sa base sociale, constituée par l'import-import ainsi que toute l'économie informelle qui représente aujourd'hui la moitié de l'économie nationale ; c'est le fait de voir l'émergence de mouvements autonomes, fondés sur des problèmes socioéconomiques concrets et réels, aptes à rassembler au plus large et donc à l'abri des diversions religieuses et culturelles. De mon point de vue, ce mouvement, tout comme celui des syndicats autonomes, représente une Algérie en marche.
N'est-ce pas la nature rentière du système politico-économique algérien qui freine la relance de l'économie productive et donc de l'emploi '
Le problème n'est pas celui de la rente mais de son utilisation. Faut-il utiliser comme source d'accumulation productive ou comme source de satisfaction de besoins, y compris de besoins incompressibles de consommation. Vous faites bien de me faire remarquer que l'industrie ne représente plus que 5% du PIB.
Ayons à l'esprit que la période où l'offre d'emploi était supérieure à la demande additionnelle de travail a été celle du plan triennal et des plans quadriennaux de développement. C'est sous leurs effets qu'a été enregistrée, en 1979, une offre d'emplois durables de 170 000, qui de mon point de vue est inégalée à ce jour. Des lors, se pose de façon récurrente la question de la stratégie de développement.
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