Réalisé par Bahia Bencheikh El Feggoun et Meriem Achour Bouakkaz, le documentaire H'na Berra (Nous, dehors) a été projeté à la salle El- Mouggar dans le cadre du 5e Festival international du cinéma d'Alger dédié au film engagé.Interroger la place de la femme dans l'espace public à travers la question du voile semble être le propos principal de ce documentaire. Les deux réalisatrices vont suivre la quête existentielle de Manel, jeune fille de 23 ans, qui, deux ans après avoir mis le voile, se sent aujourd'hui à l'étroit dans cet habit religieux. Pour comprendre ce changement et tenter d'avoir des réponses aussi bien spirituelles que matérielles, elle ira voir des amies entre Constantine, Sétif et Alger dont chacune a une histoire personnelle avec le hidjab. De Zahia, la dame d'âge mûr qui n'a jamais mis le voile car elle considère que ces valeurs universelles n'ont pas besoin d'être plébiscitées par une tenue religieuse, à Yousra qui le porte encore mais qui ne sait plus très bien à quoi il sert exactement, en passant par Siham qui l'a enlevé lorsqu'elle éprouva une contradiction entre son désir d'être au monde et les obligations que le voile lui imposait, Manel peut à présent faire sa catharsis, aidée par les témoignages de ces femmes.Ces longs soliloques filmés en caméra-fixe sont entrelacés avec des scènes d'extérieur où l'on voit notamment des femmes dans le marché, des mannequins aux traits effacés habillés de toutes sortes de hidjabs, les jeunes filles traversant un espace fortement dominé par les hommes, etc.Ces rares images qui parlent d'elles-mêmes et incarnent sans grands discours la complexité de la problématique sociétale liée à la femme dans l'espace public et au double rapport tourmenté «désir-chosification» qu'entretient la société avec elle, sont incontestablement la meilleure «offre» cinématographique de ce film. En effet, Hna Berra est beaucoup plus convaincant quand il se laisse porter par l'éloquence d'un corps en mouvement, d'un visage interrogateur, de ces quelques mots frêles et pourtant foncièrement humains avec lesquels s'expriment les jeunes femmes du film. Or, une volonté par trop démonstrative l'emporte souvent sur cet aspect introspectif fugacement aperçu.En effet, Bahia Bencheikh El Feggoun et Meriem Achour Bouakkaz veulent à tout prix atteindre une espèce d'explication globale du phénomène misogyne à travers les récits de ses personnages ; on tombe alors dans une verbosité ininterrompue où Manel, Sihem, Hayet et Yousra, qui semblent répondre à des questions orientées, commencent très vite à tourner en rond dans leurs réflexions sur leur condition de femmes. L'extrême beauté et la désarmante dignité de ces femmes auraient dû être davantage mises en valeur par le récit et la caméra mais l'accumulation de constats plaintifs, de larmes et de phrases toutes faites sur la religion finit par appesantir le propos et, pis encore, verser trop souvent dans l'affect et l'attitude victimaire.On se retrouve alors dans un discours usé qui, tout en aspirant à la transgression d'un sujet tabou, ne va jamais au-delà des poncifs véhiculés sur ce même sujet, qu'ils proviennent des anti ou des pro-hidjab.Aussi, le choix de ces femmes, bien qu'il relève de la liberté incontestable des réalisatrices, semble assez réduit et génère systématiquement une approche biaisée du phénomène. Est-ce à dire que la problématique de la femme dans l'espace public se résume à son rapport au voile ' Et si c'était le cas, peut-on comprendre de cette «sélection» qu'elle représente la tendance générale au sein de la société algérienne ' Quid alors des jeunes femmes refusant le principe même du voile et pouvant élaborer un argumentaire beaucoup plus poussé, et surtout plus audacieux, que le simple dilemme entre le respect des valeurs traditionnelles et religieuse et l'envie de vivre pleinement sa féminité ' A cela s'ajoute cette tendance parfois naïve à limiter le débat à une opposition manichéenne et superficielle à l'homme, le méchant de l'histoire !Nous, dehors affiche la volonté de comprendre, voire de dresser un constat sociologique, mais il ne réussit au bout du compte qu'à survoler la question très épineuse du corps féminin dans une société patriarcale, avec en prime une forte dose de prêt-à-penser !
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Posté Le : 16/12/2014
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : Sarah Haidar
Source : www.lesoirdalgerie.com