Algérie

Guerre et dépression


Guerre et dépression
Le monde a rarement autant changé en six semaines. La période d'éclipse saisonnière du supplément économique d'El Watan. Trois grands éclaircissements dans la vision du monde. La guerre en Europe est encore possible un siècle mois pour mois après le déclenchement en août 1914 de la Grande Guerre : 20 millions de morts. La dépression s'installe en Europe et déborde sur les pays émergents, le moteur allemand est en panne. Tandis que dans le monde le moteur chinois se refroidit un peu. Enfin, et c'est la leçon de l'été la plus directe pour l'Algérie : pour la première fois depuis 1973 un embrasement armé dans les pays pétroliers de l'OPEP ne conduit pas à une flambée des prix du pétrole brut. C'est même l'inverse qui s'est produit durant ces deux derniers mois, le brut a perdu 10% de son prix du début de l'été. Il y a bien sûr beaucoup à dire sur un tel tableau. S'il devait être synthétisé en une seule formule, le monde n'a pas fini de payer le mensonge de la décennie «digitale», qui en gros de la crise asiatique de 1997 à celle des subprimes en 2007 tente de maintenir coûte que coûte une croissance virtuelle par le crédit facile.Les grands centres de l'économie capitaliste mondiale ne sont pas rentrés dans une crise de surproduction classique. Déficits publics, argent quasi gratuit, ils ont consommé le carburant de leur élan. Et la vitesse inertielle est tombée à zéro. Alors tous les changements deviennent, lentement, possibles. Et d'abord une sourde déconnexion des marchés de fournitures énergétiques d'avec les anciens grands centres d'approvisionnement.Que l'on mesure bien : le nord de l'Irak est envahi par l'équivalent d'AQMI en modèle «étatique», la Libye n'a plus d'avenir politique prédictible sur les deux ou trois prochaines années. Et le prix du brut baisse. Le gouvernement algérien est resté à l'écart des lectures estivales. Pourtant, la tête ? à défaut des jambes ? fonctionne bien, nous affirme un soutien illuminé du 4e mandat. En 2015, la dépense publique continuera d'être le moteur toussotant d'une croissance atone. Le fonds de régulation des recettes budgétaires prend le relais de la fiscalité pétrolière. Guerres, crises, montée des fascismes, 2014 est déjà l'année des nouveaux possibles. En Algérie, elle est celle d'un possible tête-à-tête avec le FMI au tournant de 2020.L'Europe n'est pas seulement économiquement souffrante, elle est à nouveau inquiétante sur le plan de la sécurité. L'ouverture d'un front indirect entre l'OTAN et la Russie dans l'est de l'Ukraine a été évitée de justesse cette semaine. Le risque d'une déflagration générale semble momentanément écarté.Le processus politique peut reprendre la main pour définir un statut à cette partie russophile de l'Ukraine. Le président Obama a affirmé que ce sont les sanctions économiques qui ont amené la Russie à la raison en l'isolant ces derniers mois. Cela se discute. L'industrie européenne ? et pas seulement celle de l'agroalimentaire ? souffre elle aussi de la rupture du commerce avec la Russie, quel que soit celui qui la décide. Il reste que le préjudice économique est tel dans le monde d'aujourd'hui que les avantages politiques que l'on peut tirer d'une conquête de territoire deviennent rapidement dérisoires dans la balance.Les chefs d'entreprise russes ont fait pression sur Poutine pour qu'il modère son engagement Grand-Russe en Ukraine. Leurs homologues allemands ont fait pareil auprès de la chancelière Merkel pour qu'elle contribue à l'accouchement rapide d'une solution politique.La globalisation détruit économiquement des pans de la planète. Mais elle agglomère d'autres pans. Ceux qui s'y sont le plus intégrés. Le même conflit autour de l'Ukraine aurait tourné au conflit armé généralisé si l'économie russe n'était pas plus intégrée dans le monde global.Ses intérêts stratégiques ne sont pas dans l'Est de l'Ukraine, mais en Europe et dans le monde. Il y a un siècle, en août 1914, l'interpénétration des économies de l'Allemagne et de la France (pour ne citer que ces deux belligérants) était insuffisante pour empêcher la guerre. L'Algérie et le Maroc devraient y penser sérieusement.Quelles que soient leurs divergences sur le sort du Sahara occidental, ils gagnent à intégrer le plus possible leurs économies. C'est la meilleure prévention contre la guerre. Mais aussi le meilleur moteur de la croissance future.Le professeur Abdelmadjid Bouzidi a disparu durant ce break estival. Le temps va malheureusement vite montrer le préjudice immense de cette perte pour le débat public algérien. Abdelmadjid Bouzidi a été l'animateur sans doute le plus «exposé» et le plus «impliqué» dans les grandes discussions sur les politiques publiques du pays ces dernières décennies. Il a pour autant réussi le pari intellectuel rare de rester inclassable dans le «compartimentage» de la pensée économique.A la faculté, au tournant de l'après-Boumediène, il était bien identifié marxiste parmi la mouvance des enseignants proches du PAGS de l'Institut des sciences économiques d'Alger. Mais il arrivait déjà à parler différemment de ses camarades. Et se poser en cours certaines questions ? la part de marché dans l'agriculture par exemple ? à rebours des dogmes de l'économie étatique. En 1990, il n'est pas avec les réformateurs mais en même temps pas avec leurs contradicteurs, défenseurs des monopoles publics. Il est ensuite pour l'accord avec le FMI, mais sans le zèle de Ahmed Ouyahia qu'il critique vertement dans un livre iconoclaste pour en «avoir fait plus que ce que lui demandait M. Camdessus».Abdelmadjid Bouzidi s'est bien rendu à l'évidence qu'il faut, pour l'Algérie, être dans la mondialisation, mais n' a jamais reproduit les recettes «prêtes à l'emploi» des économistes libéraux algériens comme Abdelhamid Temmar, l'homme qui voulait privatiser 1200 entreprises publiques en arrivant aux affaires. Jusqu'au bout, le professeur Bouzidi a cultivé sa singularité. Bien conscient que l'économie algérienne est un chantier «spécial» : rente pétrolière, tradition populiste du mouvement national, mais aussi aspiration à la commercialité de la vulgate méditerranéenne. Mais alors, où était l'armature du professeur dans un tel itinéraire de pensée ballotté par les grandes transformations du monde ' Peut-être dans sa fidélité au développement industriel. Une constante de son champ de travail durant plus de 35 années de production académique. Bouzidi avait un optimisme raisonné et documenté en l'avenir industriel de l'Algérie. Le temps planétaire de la relocalisation et des nouvelles politiques industrielles lui était à nouveau devenu favorable. Il ne le connaîtra pas. Adieu professeur.


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