Algérie - ONACMO : Organisation nationale des anciens combattants algériens au Moyen-Orient

Guerre du Kippour : quand le Maroc et l’Algérie se battaient côte à côte



Guerre du Kippour : quand le Maroc et l’Algérie se battaient côte à côte


Laurent Touchard travaille depuis de nombreuses années sur le terrorisme et l'histoire militaire. Il a collaboré à plusieurs ouvrages et certains de ses travaux sont utilisés par l'université Johns-Hopkins, aux États-Unis. Il revient cette semaine sur la guerre du Kippour, encore appelée guerre du Ramadan (6-24 octobre 1973).



La défaite militaire est totale et les conséquences géopolitiques considérables. L’idée d’une revanche naît dans les mois qui suivent. Tout d’abord vague, elle se précise au fil du temps dans l’esprit du successeur de Nasser, le président Anouar el-Sadate. En 1972, elle se transforme en certitude : la guerre aura lieu contre Israël (voir chronologie en bas de page). Elle aura pour but de bousculer l’État hébreu, de restaurer la fierté des pays arabes, de récupérer les territoires perdus en 1967. Outre l’Égypte, plusieurs pays d’Afrique en seront. C’est l’objet de la visite militaro-diplomatique du général Shazly, brillant chef d’état-major égyptien, en février 1972, de la Libye au Maroc en passant par l’Algérie…

L’Algérie : un exploit de planification et logistique

Bien que prudent, Boumédiène se montre accueillant envers Shazly lorsque celui-ci arrive à Alger le 6 février 1972. Dans ses mémoires, l’officier égyptien cite le président algérien : "(…) lorsque la guerre éclatera, nous enverrons chaque soldat que nous pourrons afin de combattre aux côtés de nos frères égyptiens." Durant deux jours, Shazly inspecte l’armée algérienne et, toujours dans ses mémoires, il se déclare impressionné par ce qu’il observe. Les forces algériennes seront donc de la partie… Néanmoins, Boumédiène pose une condition. Il veut être averti au moins trois mois avant le déclenchement de l’opération. Condition que Sadate rejettera énergiquement dans un premier temps. Finalement, le 17 septembre 1973, Shazly est de retour : il informe Boumédiène que la guerre surviendra dans trois mois… Le président algérien se montre plus mesuré qu’un an et demi plus tôt. Il s’interroge notamment sur la destruction de 12 MiG syriens quelques jours auparavant. Évènement qui, selon lui, n’est pas le gage d’un bon état de préparation des forces arabes… Il accepte toutefois de prendre contact avec Sadate dans le but de mettre au point les détails de la participation de ses forces armées.

De fait, à l’aube de la guerre, l’aviation égyptienne est présente à proximité de la future zone des combats. Sont basés en Libye un escadron de MiG-21F-13 et un escadron de MiG-21PF qui protègent un escadron d’avions d’attaque Su-7BMK et un escadron de chasseurs-bombardiers MiG-17F, avec un poste de commandement avancé implanté en Égypte. Ces appareils entrent dans la danse dès le second jour de l’offensive (le 7 octobre 1973). Ils sont redéployés depuis la Libye jusqu’en Égypte entre le 9 et le 11 octobre. En tout, environ 80 appareils et un millier d’hommes de l’Armée de l’Air, commandés par Mohamed Tahar Bouzroub, sont mis à contribution. Lors de la signature du cessez-le-feu, les pertes s’élèvent à un MiG-17 F et 2 Su-7BMK détruits en vol ; les deux pilotes des Su-7 ayant été tués.

Les Égyptiens craignent que les Israéliens, désormais victorieux, n’enfoncent le verrou de Suez.
Des éléments terrestres sont également dépêchés alors que l’offensive a été déclenchée (probablement beaucoup plus tôt que ne le supposait Boumédiène). Dans ce but, tous les camions civils de transport de véhicule lourds (jusqu’à 65 tonnes) sont réquisitionnés dans l’est du pays. Ils serviront de porte-chars, permettant ainsi le déploiement de la 8e Brigade blindée (8e BB) qui se prépare dès le 12 octobre. Au terme d’un long périple via la Tunisie puis la Libye, 3 000 hommes, 128 chars (des T-54 et T-55), 670 véhicules divers, 12 pièces d’artillerie et 16 pièces antiaériennes atteignent l’Égypte le 25 octobre. Ils prennent position dans les environs du Caire dans la nuit du 6 au 7 novembre, relevant des unités paramilitaires de la Garde républicaine égyptienne. Leur arrivée est perçue avec soulagement : même si cela ne se produira pas, les Égyptiens craignent que les Israéliens, désormais victorieux, n’enfoncent le verrou de Suez (qui résiste pourtant, avec des combats de rue meurtriers pour les troupes de Tsahal) avant de progresser en direction du Caire… La 8e BB apporte donc un peu d’oxygène à une armée égyptienne épuisée et amoindrie.

Le mouvement stratégique d’éléments irakiens qui viennent renforcer les forces syriennes, arrivant au contact des Israéliens le 12 octobre 1973, est considéré comme une réussite de planification et de logistique. Celui de la 8e Brigade blindée est un exploit. Si les effectifs et matériels n’ont pas le même volume que celui de l’armée irakienne, la distance est beaucoup plus grande, tandis que les moyens globaux de l’armée algérienne sont bien inférieures à ceux de l’armée irakienne (en 1973, le budget de la défense algérien est estimé à environ 100 millions de dollars alors qu’il est d’environ 338 millions de dollars en Irak). À noter que le pourcentage de matériels, par rapport à ce que comprend alors l’inventaire algérien n’est pas négligeable. En effet, selon The Military Balance 1973-1974, à cette date, l’Algérie n’aligne qu’une seule brigade blindée tandis que son parc de blindés se constitue de 100 T34/85, 300 T-54 et T-55 auxquels s’ajoutent des canons d’assaut : 85 Su-100 et 15 JSU-152 et, enfin, 350 véhicules blindés de transport de troupes BTR-152. Les 128 T-54 et T-55 de la 8e BB représentent donc plus de 30 % du nombre de chars modernes en service en Algérie. Ce n’est pas tout : début novembre 1973, Alger verse 200 millions de dollars à l’URSS pour financer des équipements militaires destinés à l’Égypte et à la Syrie… Enfin, deux équipes médicales sont signalées sur le front syrien.

Le Maroc : Hassan II tient (en partie) ses promesses

Le 9 février 1972, le général Shazly est au Maroc. Il explique au roi Hassan II que le Sinaï pourrait être reconquis par la force. Enthousiaste, le monarque répond "Les forces armées marocaines sont à votre disposition". Comme en Algérie, l’Égyptien demande alors à inspecter l’armée chérifienne, ce qui lui permet de déterminer quelles seraient celles utiles à l’opération. Puis, il retourne voir Hassan II en requérant un escadron de F-5A et une brigade terrestre. Le roi accepte. Septembre 1973 : immédiatement après avoir revu Boumédiène, Shazly retrouve Hassan II. Ce dernier lui explique qu’en raison de l’implication de pilotes de F-5 dans la tentative de coup d’État du 16 juillet 1972, tous sont aux arrêts… L’escadron de chasseurs-bombardiers F-5A n’est donc plus opérationnel. Sauf preuve (documentée) du contraire, aucun F-5A marocain n’est donc expédié en Égypte durant le conflit.

En revanche, la brigade promise est en Syrie depuis l’été 1973, sous les ordres du général Sefrioui. Sa mise en place n’a pas été facile : les relations entre Rabat et Damas sont complexes. Le roi du Maroc aurait même forcé la main d’Hafez el-Assad en acheminant par avion en Syrie un élément précurseur, tandis que le gros des troupes est transporté par des navires soviétiques jusqu’à Latakieh où il débarque en juillet 1973 (juin selon d’autres sources). Les 30 chars T-55 sont fournis par l’armée syrienne, mais les équipages sont marocains.

Front du Sinaï

Conscient de la valeur des forces marocaines, Shazly demande si d’autres unités terrestres pourraient renforcer le dispositif arabe. Hassan II répond favorablement. Il met à disposition de Shazly une seconde brigade d’infanterie motorisée, cette fois-ci pour le front du Sinaï. Dès le lendemain, les détails de son déploiement sont examinés sous l’égide Shazly. Le général égyptien soumet le 1er octobre comme date de départ. Hassan II refuse : il souhaite accorder une permission aux hommes qui la composent. Ils pourront ainsi passer du temps avec leur famille avant d’être envoyés à la guerre… Il choisit donc le 1er novembre 1973. L’Égyptien sait que la guerre est prévue pour octobre (la date définitive sera arrêtée que le 22 septembre). Cependant, pour maintenir secrète la période du déclenchement de l’opération, il ne peut rien dire. La brigade partira bien, en urgence, après le déclenchement de la guerre. Mais elle arrivera trop tard pour participer aux combats dans la zone du canal de Suez.

La brigade motorisée du Golan est attachée à la 7e Division d’infanterie syrienne. Elle livre de durs combats face aux Israéliens du 74e Bataillon de Chars Saar (attaché à la célèbre 7e Brigade blindée). Ses chars Sho’t Kal (des Centurions modifiés par les Israéliens) sont supérieurs aux T-55, aussi bien en terme de blindage que d’efficacité des tirs (meilleure optique) mais aussi quant à l’ergonomie des engins. Ce qui n’empêche pas le T-55 d’Ahmed Ashan de détruire un Sho’t Kal alors que les Marocains sont les premiers arabes à engager directement les forces israéliennes sur le plateau du Golan, dans les environs de Tel Shaeta. Des deux côtés, les actes de bravoure se multiplient. Pourtant la brigade marocaine n’avance pas : ne lui ont été assignés que des objectifs limités. En outre, elle a reçu la consigne de ne pas progresser sans en en référer à Damas…

Les services de renseignement américains s’inquiètent de possibles réactions anti-américaines au Maroc si d’aventure "un désastre devait s’abattre" sur sa brigade dans le Golan.
Le 11 octobre, l’unité est face au 77e Bataillon de Chars. Là encore, les combats sont acharnés. Le 20 octobre, elle est intégrée au dispositif de la 9e Division d’infanterie syrienne. Dispositif qui s’organise pour lancer une contre-attaque dans le saillant de Saassaa. Prévue pour le 25 octobre, l’opération doit permettre de reprendre l’initiative face à des Israéliens qui menacent désormais Damas, après avoir rétabli une situation pourtant désespérée le 6 octobre. Cependant, Hafez el-Assad réalise parfaitement que la conjoncture militaire est devenue catastrophique. En conséquence de quoi il accepte un cessez-le-feu qui prend effet le 23 octobre 1973, à minuit… La contre-offensive n’a donc pas lieu et là s’arrêtent les combats de la brigade d’infanterie motorisée marocaine. En tout, 5 500 hommes sont expédiés dans le Golan et en Égypte.

Sur le front diplomatique, le Maroc constitue un sujet d’inquiétude pour Washington… Le 8 octobre, un rapport de la CIA souligne le mécontentement d’Hassan II à propos du soutien diplomatique américain à Israël, notamment via les manœuvres des navires de la VIe flotte. De manière plus générale, les analystes de l’organisme de renseignement mettent en garde : des réactions anti-américaines pourraient survenir si d’aventure "un désastre devait s’abattre" sur la brigade dans le Golan. Les bases américaines et en particulier Kenitra sont désignées comme des cibles potentielles de la vindicte populaire. Enfin, ils estiment que le roi pourrait être mis en difficulté, voire renversé, si sa politique ne se démarquait pas distinctement de celle de Washington. Ses détracteurs auraient matière à l’accuser de trahison vis à vis de la cause arabe, avec toutes les conséquences inhérentes… Au 21 octobre, les services de sécurité de Kenitra et des représentations diplomatiques au Maroc sont en alerte. Pourtant, il n’y aura aucun incident.

En guise de conclusion…

Beaucoup plus longue que ne l’envisageait au départ les observateurs étrangers, la Guerre du Kippour aura certes vengé l’humiliation de 1967 en choquant Israël par une offensive réussie, organisée de mains de maîtres. Offensive aux objectifs opérationnels limités ; ambitions modérées gages de succès qui se résument ainsi : franchir le canal de Suez et tenir une zone d’une quinzaine de kilomètres à l’est de celui-ci pour les Égyptiens, enfoncer la Ligne pourpre et reprendre le Golan pour les Syriens…

Cependant, Sadate, en décidant de lancer une offensive (contre l’avis de Shazly) en-dehors du parapluie de ses missiles sol-air et au-delà des capacités manœuvrières de l’armée égyptienne, transforme une première phase victorieuse en un conflit à demi-perdu. Alors que le spectre de la défaite apparaît à nouveau pour les forces arabes, Algérie et Maroc ne se défilent pas. Si la guerre s’était prolongée de quelques jours (cas de figure peu probable du fait des pressions soviétiques sur Washington pour stopper Tel-Aviv), leurs brigades déployées en terre d’Égypte, sur le sol africain, auraient encaissé le choc de l’offensive israélienne. Algérie et Maroc auraient lors constitué des éléments du dernier rempart de Sadate… Côte à côte.



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