Algérie

GUENZET Le vieux rêve de M. le maire



Le dos courbé, le pied traînant une discrète boiterie, il avance à petits pas dans la pénombre nocturne du village de Guenzet des Ith Yaala. Monsieur le maire d'il y a, à peine quelques jours, vient de quitter la demeure d'un ancien administré qui lui a fait l'honneur d'une soirée conviviale, entouré d'amis dont certains venus de loin et de fervents admirateurs.
On faisait amende honorable pour les déboires qu'il a subis lors des dernières joutes électorales par des concurrents qui ont fait du choix de l'invective injurieuse une arme de campagne. Dans l'après-midi du vendredi 13 décembre 2012, les associations Azarith Yaala, Ilm ou Amal, Jeunes d'Issoumar et El Irchad ont tenu toutes à rendre hommage à ce maire de la proximité. A ce titre, la cérémonie festive qui a eu lieu dans la salle du centre culturel, qui s'est avérée exiguë pour la circonstance, rendait hommage à l'étudiant qui interrompait ses études pour la cause nationale, au médecin qui sacrifiait les dorures du confort matériel pour la santé publique et dont il a été l'un des principaux bâtisseurs et, enfin, au cadre de la nation qui dédaignait une retraite algéroise qui aurait pu être lustrée pour revenir au nid d'aigle de Harbil où il vit le jour en 1931. On oublie même qu'il a été pour beaucoup dans la victoire footballistique historique de l'équipe nationale sur les Bleus lors de cette finale mémorable des Jeux méditerranéens de 1975 en sa qualité de président de la FAF (1971- 1974).
«Je viens acheter un sirop pectoral pour le mouton du voisin»
C'est donc à l'âge de 78 ans que Dr Amar Benadouda prend en main les destinées électives de la commune. Les personnes qui se sont succédé tour à tour au pupitre ont chacune évoqué une des facettes de cet impénitent militant des causes justes. Le barde de la poésie populaire, Abdelghafar Abdelhafid, venu spécialement de Bou Saâda, a mis l'assistance en transe par une élégie épique dédiée au personnage. Nadjib Athmani, président de l'association culturelle Ith Yaala, tint quant à lui à rappeler l'immense humanisme de l'homme. Pour étayer le propos, il narre un événement peu commun et dont il a été le témoin. Nous citons : «Un jour, je l'ai vu presque courir pour arriver à temps à la pharmacie avant sa fermeture. Je lui posai alors la question pour savoir qui était malade ' Il me répondit : ‘'Le mouton de mon voisin… je viens de lui acheter un sirop pectoral.'' D'abord interloqué… je me rendais ensuite à l'évidence que cet homme d'exception, ne peut être que hors de portée de l'appréhension commune des choses de la vie. Comment voulez-vous qu'un homme qui ressent la souffrance de la bête ne soit pas sensible à la détresse humaine et par conséquent à son désarroi social ou économique '» L'orateur continuera son intervention pour dire : «Dans le feu de l'action, les gens qui menaient campagne contre lui ne trouvaient d'aspérité négative que dans l'âge avancé du personnage, ce à quoi, il leur était opposé ceci comme réplique : ‘'Sagesse de l'aïeul et vivacité du jeune.'' Il tenait à la préservation de la préséance et en toute circonstance. La liste indépendante menée par Si Amar qui avait pour devise ‘'Essidk oua Al Amana'' comportait 12 noms dont 4 femmes. Issus de divers secteurs d'activité (éducation, santé, habitat, enseignement supérieur), leur moyenne d'âge tournait autour des 40 ans. Au cours de la campagne qui a consisté en conférences- débats en direction des jeunes, il n'eut de cesse de dire : ‘'Je ne vous demande pas de voter pour moi, mais je vous donne les moyens de réfléchir pour prendre la bonne décision. La politique pour moi ne doit pas être mensonge et manipulation mais, vérité, sincérité et bon sens''».
Désenclaver les 20 villages et groupements humains
D'ailleurs, tout au long de son mandat électif, le Dr Benadouda qui a en main tous les attributs scientifiques pour développer des thèses alambiquées a toujours fait preuve de modération et de simplicité dans le propos. Il nourrissait le généreux dessein de faire sortir sa circonscription de l'isolement topographique qui la frappait, tel un sort inéluctable. Il lance alors l'idée de la route des vallées pour rallier dans de bonnes conditions de roulage et de sécurité, les grosses cités urbaines de Sétif, Béjaïa et Bordj-Bou-Arréridj. Désenclaver les 20 villages et regroupements humains, par des routes carrossables. Relier la commune au réseau national de distribution du gaz naturel. L'adduction de gaz est déjà aux portes de Guenzet, le chef-lieu. Susciter l'entraide communale dans l'entretien des routes et des écoles. D'ailleurs, c'est à propos des écoles qu'il répliquait un jour, à l'un des ses pairs d'une autre commune qui comptait fermer des établissements pour insuffisance numérique d'élèves : «Tant mieux s'il n'y a que dix élèves par classe, nous aurons au moins le ratio américain !». Fin de citation. Le rêve de Monsieur le maire était d'implanter une nouvelle agglomération dotée de tous les équipements socioéducatifs dont un lycée technique à rayonnement régional. Il était convaincu que l'avenir économique réside dans la formation des corps de métiers orientés vers l'agriculture de montagne. La prospective de planification dictera l'implantation d'un complexe sportif de préparation des élites sportives et d'un hôpital spécialisé pour enfants asthmatiques. L'argumentaire auquel s'adosse la proposition relève beaucoup du bon sens paysan que d'une vision académique pointue. La clé en était : «Economiquement pauvre, la région pourra vendre de l'oxygène qu'elle possède à profusion.» Le rêve est à moitié réalisé puisque, cette extension urbaine a bénéficié d'un Plan d'aménagement urbain (PDAU) approuvé par les services compétents. Un bureau d'études de Batna serait, d'ailleurs, en train de plancher sur le Plan d'occupation des sols (POS). L'œuvre de Amar Benadouda reste certes inachevée, mais prégnante dans l'esprit citoyen. Elle aura donné de l'espoir à cette multitude de jeunes qui lézardaient, dans l'attente d'une partance. Une ancienne étude du Centre national d'études et d'analyses pour la population et le développement (Ceneap), qualifiait la région d'économiquement répulsive, chose sur laquelle l'ancien exécutif communal construisit toute une stratégie de développement pour la rendre, peu à peu, attractive. La démarche linéaire, d'ailleurs, s'adressait d'abord aux autochtones, elle suggérait, ensuite, l'aspiration par confluence incitative du petit investissement externe. Les jeunes et les moins jeunes Guenzatis se rappelleront, probablement, toujours de cette silhouette trapue dont on distinguait, difficilement, les contours à travers le vitrage de l'immense 4/4 qu'il conduisait lui-même. Il aimait toujours à parler des 20 villages des Béni Yaala qu'il tentait, inlassablement, de faire sortir de l'isolement, d'abord, psychologique ensuite matériel. Féru de belles lettres arabo-musulmanes, il déclame quelques strophes dont il se rappelle encore. Faisant souvent référence à Si Khalfa son père, qui après un bref séjour, dans les années trente, à Saint-Etienne, en est revenu pour s'installer à La Casbah d'Alger. Amar, tout jeune, récitait des versets du Coran au «Nadi Ettarqi» de Cheikh Tayeb El Okbi. Produit d'une culture à facettes multiples, polyglotte avéré, Si Amar rappelle à qui veut l'entendre que le legs paternel a consisté en une phrase : «Issus d'une région pauvre, nous n'aurons que le savoir pour salut !» C'est ainsi que le maire de Guenzet et depuis son investiture à la tête de la commune en 2007, a fait organiser, tous les 16 du mois d'avril, la manifestation culturelle commémorant Youm El Ilm. La devise en était «Ilm oua Amal » (Savoir et Labeur). Depuis lors, universitaires, chercheurs, hommes de l'art et journalistes ont appris à prendre la route de Guenzet à partir de Bordj-Bou-Arréridj sur 42 km ou de Sétif sur 80 km.


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