Il a fallu une
présence d'esprit de petites gens de l'Association de promotion du tourisme et
de l'action culturelle de Guelma pour initier l'organisation d'un colloque
international, traitant de la vie et l'oeuvre de Kateb Yacine,
à l'occasion de la célébration du 20ème
anniversaire
de sa
disparition.
La modeste idée
des humblesor-ganisateurs désintéressés avait fait son petit chemin abrupt pour
être finalement admise à la concrétisation et rehaussée pour un parainnage de
Mme la ministre de la Culture, qui a octroyé une aide financière de 1,5 million
de dinars, et Mr le wali de Guelma, qui a soutenu l'initiative dans tous des
contours avec un sceau particulier et une aide ostensiblement généreuse.
L'argumentaire avait recueilli l'unanimité tant il était adossé à la
participation citoyenne active et du 27 au 30 octobre 2009, Kateb Yacine était
revenu dans son fief.
20 ans après, c'était l'occasion d'élever
d'un cran la commémoration pour mieux faire reluire cette constellation
éternelle qui ne cesse d'intéresser avec avidité les chercheurs de la
communauté universitaire à travers le monde.
Le défenseur des opprimés, des damnés de la
terre, le perpétuel insurgé contre les injustices, avait laissé plané son âme
émotive sur le colloque comme un ange gardien, orientant par son sens toutes
les chevilles ouvrières qui ont su être aux petits soins sur tous les détails
organisationnels dans une omniprésence qui veille au caractère scientifique et
historique de l'évènement, excluant toutes les tentations de récupération et
des prébendes incultes.
L'homme du peuple qu'il était n'aimait ni le
faste, ni les fanfaronnades des salons feutrés, et une salle de cinéma qu'il
fréquentait jadis à Guelma a été récemment réhabilitée et réouverture pour lui
et son génie. Pendant deux jours cette salle semblait aspirer les gens de la
rue venus assister à la manifestation écoutant dans un silence religieux, les
strates de cette mosaïque humaine de la communauté universitaire nationale et
internationale qui se relayaient au pupitre des conférences pour rendre hommage
aux lumières katebiennes.
20 ans après, la valse à l'honneur de Kateb
Yacine continue dans une nouvelle approche académique pour tenter de percer
l'énigme dans les oeuvres Katebiennes marquées par la diversité des
interprétations tant elles sont à la fois exigeantes, hermétiques et
incontournables.
Dans son roman totem ‘'Nedjma'' ou autres,
dans sa poésie ou dans ses pièces théâtrales, la métaphore est instrumentalisée
pour multiplier les facettes romanesques et tragico-comiques puisées dans les
profondes sources de sa culture inestimable héritée d'une ascendance en
perpétuelle rebellion: les Béni-Keblout.
Cette tribu, en ébullition permanente qui a
enfanté Kateb Yacine, avait bien mené la vie dure aux diverses invasions et
incursions colonialistes au point de subir le diktat de l'extermination en 1852
dans la région d'Aïn Ghrour entre les monts de Sfahli à l'ouest de Guelma et
leur zaouia réduite à néant par l'artillerie lourde de la soldatesque
coloniale. Sept personnes dont une femme des oulémas de cette tribu ont été
transportées à la garnison militaire de Guelma pour être exécutées sans procès
au lieu-dit «El-Karmet» sur les hauteurs de la ville. Le colonialisme n'avait
pas prévu le facteur temporel qui agit sur les états d'âme de ces autochtones
qui savaient communiquer dans la souffrance, la douleur, le silence et la mort.
Sur ce sujet, la mémoire collective guelmie avait retenu que sept oulémas
musulmans, qui avaient «le Coran» dans la poitrine, ont été assassinés
arbitrairement par les «roumis» envahisseurs. Un mythe était né autour de ce
lieu qui fut longtemps sacralisé pour être l'un des repères de la symbolique
vengeresse que les nationalistes de Guelma avaient choisi comme lieu de
rassemblement avant le départ pour la célèbre marche pacifique du 8 Mai 1945,
qui fut férocement réprimée dans le sang. A ce même moment à Sétif, un jeune
Keblouti âgé de 16 ans distribuait des tracts nationalistes et participait à
une marche similaire avant d'être mis aux arrêts et condamné.
C'était Kateb Yacine, un jeune collégien
surdoué en lettres françaises qui s'intéressaient déjà à 10 ans à son histoire
ancestrale, à Jughurta, Massinissa, N'soumer, l'Emir Abdelkader, le PPA et
surtout, au danger de cet analphabétisme qui ronge son peuple avec la pauvreté.
Le rebelle a été journaliste dans «Alger Républicain» après avoir fréquenté les
milieux littéraires français, s'introduisant à 18 ans, comme conférencier à la
salle des Sociétés Savantes à Paris, dissertant prolixe sur l'Emir Abdelkader
et l'indépendance de l'Algérie.
Kateb Yacine, qui aimait s'insurger dans «la
gueule du loup», ne se doutait pas qu'il avait entamé un très long parcours
dans l'errance historique, romanesque, poétique avec une plume engagée contre
l'injustice, construisant le mythe précurseur de la modernité littéraire
algérienne d'expression française.
Aujourd'hui, sa famille, ses admirateurs et
ses amis se sont rencontrés pour lui rendre hommage et reconnaissance en cette
commémoration, qui se veut être un début à d'autres éditions de ce colloque
dont la réussite fait jaser les mauvaises langues. Sa famille était représentée
par son fils Hans Carl, vivant en Allemagne, ses deux soeurs, Anissa et la
Benjamine Fadila qui a participé à cette manifestation par une exposition
inédite des manuscrits et des objets personnels de l'écrivain.
Dans les loges des invités académiques nous
citerons un aréopage de conférenciers, des sommités de la littérature en langue
française comme Mr Ahmed Cheniki (Université d'Annaba), avec une communication
intitulée «Le théâtre nu de Kateb Yacine, Mr Paul Siblot (université de
Montpellier) ‘'L'écriture militante entre poésie et journalisme'', Mr Salah
Guemriche, écrivain, de Guelma vivant à Paris. «La vie de Kateb Yacine», Mme
Nagiba Regaieg (université de Sousse) «Nedjma'' dans la trilogie de Kateb
Yacine du ‘'mythe à la rébellion», Mr El-Hadj Meliani (Université de
Mostaganem), «Les discours préfaciels de Kateb Yacine», Mme Boukhelou Fatima,
(Université de Tizi Ouzou) «Signe du mythe, de l'histoire et de la
post-coloniale dans Nedjma», Mr Dugas Guy (Université de Montpellier) «Kateb
Yacine et Manuel Roblès ou le début de Kateb en littérature», Mr Benhassab
Messaoud (Université de Guelma) «Soliloques : une singulière expérience du
présent», et d'autres conférenciers... Pendant cette manifestation, le génie
katébien a été revisité sur un fond de mythe constellé avec sa force de
métaphores qui renvoie les astres vers cet impossible amour de Nedjma, de la patrie...
de l'Algérie. La dernière journée a été réservée pour un pèlerinage de la
commune littéraire sur les monts escarpés de Sfahlis, sur les traces
ancestrales des Béni-Keblout, et sur les traces de Kateb yacine à travers Aïn
Ghrour, la zaouia en ruine et son pistachier imposant qui défie encore le temps
avec le culminant Key Essayeh qui absorbe aussi vite le coucher du soleil.
Au pied de ces monts augustes et imposants où
couvent des pans de notre mémoire et de l'Algérie combattante pour son indépendance,
une stèle a été érigée en forme d'une sculpture taillée dans le granit de la
région par Mr Djamel Chadli, un artiste sculpteur, peintre ou fou de la nature
et membre du comité d'organisation du colloque. La commémoration oblige et
notre artiste local se convertit promptement en guide pour présenter aux
invités l'oeuvre stylisée jalousement dans les sillages abstraits de l'univers
katébien et à l'effigie de l'épopée des Béni-Kablout, une race de rebelles.
Mr Benamar Médiène un ami de longue date de
l'écrivain dira : «je suis venu en cette terre maternelle et fertile, mon âme
et mon corps ont vécu au coeur battant des gens de Guelma et de son humanité.
J'ai marché sur les traces d'un ami et j'ai entendu des voix résonner dans la
vallée d'Aïn Ghrour. Je comprends maintenant les sensations de Yacine lorsqu'il
osait chahuter le silence».
C'est avec la modestie des gens simples que
l'on arrive à créer les grands événements, et c'est dans le terroir des humbles
que l'on rencontre l'humilité.
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Posté Le : 07/11/2009
Posté par : sofiane
Ecrit par : Menani Mohamed
Source : www.lequotidien-oran.com