Publié le 31.01.2023 dans le Quotidien l’Expression
Par Brahim Takheroubt
Homme infatigable malgré son âge avancé, Mohamed Ghafir dit « Moh Clichy » écume les rédactions, pour garder vivante la flamme de la mémoire et surtout réclamer la vraie place qui sied à la Fédération de France du FLN durant la guerre de libération.
Mohamed «Clichy» sur sa moto supervisant la grève à Paris (1957)
«Jamais depuis 1830, une action concertée, organisée n'avait pu mobiliser sur l'ensemble du territoire et au sein de l'émigration en France, le même jour, au même moment des millions d'hommes.» C'est ainsi qu'avait commenté cette grève le défunt Mohammed Lebjaoui dans son livre « Bataille d'Alger ou batailles d'Algérie» paru en 1972 aux éditions Gallimard, non sans souligner que « cette grève générale marque donc l'un des grands moments de l'Histoire de l'Algérie depuis le début de l'occupation coloniale». En filigrane c'est l'apport de l'émigration c'est-à-dire de la Fédération de France qui apparaît dans toute sa grandeur. Pour s'en convaincre il n’y a qu' à se pencher sur ce témoignage d'un acteur clé en région parisienne de cette grève. Il s'agit de Mohamed Ghafir dit Moh Clichy. Cet homme infatigable qui écume les rédactions des médias, les bancs des universités et des lycées malgré son âge avancé, pour apporter ses témoignages et surtout réclamer la place prépondérante de la Fédération de France du FLN.
Le nerf de la guerre, c'est l'argent dit-on. «Sachez que 80% des financements de la guerre de libération provenaient de cette Fédération.» Dans un long témoignage à notre rédaction, M. Ghafir revient sur cette grève déterminante pour la suite de la guerre de libération.
Abane Ramdane avait donné des instructions pour préparer l'émigration algérienne à cette grève. «Ainsi, du 27 janvier au 5 février 1957, toutes les entreprises françaises, usines, chantiers, administrations, se trouvent paralysées économiquement avec l'absence de 300 000 Algériens qui forment une main-d'oeuvre spécialisée dans leur majorité.», rapporte Mohamed Ghafir sur cette grève des 8 Jours qui a marqué l'histoire de la guerre de libération. Ancien militant et responsable au sein de la Fédération de France du FLN, Ghafir était chargé de la banlieue Nord de Paris. Il nous raconte avec de menus détails cet événement.
Le FLN et les messalistes
Avant de se pencher sur cette paralysie qui a frappé la France, M. Ghafir a donné une image sur le climat qui régnait chez les Algériens de France.
«L'émigration a accueilli avec satisfaction le déclenchement de la Révolution du 1er Novembre 1954, malgré les différents obstacles.» Or, toute l'année 1956 a été une lutte acharnée entre les militants FLN et les messalistes où plusieurs militants FLN ont fait l'objet de provocations de toutes sortes allant jusqu'à la liquidation physique. Afin de démontrer à l'Organisation des Nations unies que les exigences d'indépendance et de souveraineté du FLN étaient celles de la nation algérienne tout entière, Mohamed Lebdjaoui, (membre du premier Conseil national de la révolution algérienne, (Cnra) s'est rendu en France début janvier 1957, sur décision du Comité de coordination et d'exécution (CCE), avec pour mission de renforcer le Comité fédéral dont plusieurs membres avaient été arrêtés par la police française.
«Abane Ramdane lui avait donné des instructions pour préparer l'émigration algérienne à la grève de 8 Jours prévue du 28 janvier au 4 février 1957. Cette grève a été la première bataille politique décidée par le CCE, menée en Algérie et en France», a-t-il souligné. Avant de passer à l'action, comment s'était structurée la Fédération de France pour gagner un tel
pari?»«L'organisation est si simple, «dir rabaa wa r'bat» (constitue quatre éléments et tu les boucles par un cinquième, Ndlr)»: une boucle de cinq éléments constitue une cellule, quatre cellules forment un groupe. Quatre groupes donnent naissance à une section. Les sections quant à elles forment une kasma et le même nombre de kasmas forment un secteur. Voici donc l'architecture avec laquelle l'organisation de la grève des 8 Jours a été une réussite ainsi que la guerre menée en France pour l'indépendance de l'Algérie. Avant le passage à la grève, Mohamed Lebjaoui s'est réuni discrètement avec les chefs de secteur afin de définir toute la propagande et de faire circuler le mot d'ordre dans les milieux algériens. L'appel à la grève est arrivé jusqu'aux membres de toutes les cellules et tous les Algériens savaient que la grève allait débuter le 28 janvier.
Consignes strictes
Deux jours avant, c'est-à-dire le 26 janvier 1957, à 20 heures, l'opération distribution de tracts, suivie d'actions de sensibilisation et de mobilisation dans les cafés algériens a eu lieu sur l'ensemble du territoire français en vue de préparer la grève des 8 Jours solidairement avec toutes les villes d'Algérie.
«Pour ce qui est de la région dont j'étais responsable, des groupes dépendant de ma structure avaient été organisés dans chaque quartier», a indiqué notre invité. Durant cette campagne qui ne devait pas durer plus de 30 minutes par intervention (consigne stricte donnée par l'organisation), Mohamed Clichy assurait des rondes en moto dans tous les quartiers pour prévenir les militants en cas de descente de police ou de représailles des éléments du MNA. «A 20h 35, un drame est survenu! Arrivé à hauteur de la rue des Bacs d'Asnières, je trouvais, à ma grande surprise, un attroupement alors que des cars de police encerclaient le quartier. J'ai tout de suite compris qu'il s'agissait de l'arrestation de nos éléments du fait que ce quartier est considéré comme le fief du MNA. Bien que préparé au pire, je ne pouvais évacuer toutes mes craintes et angoisses, alors je me suis renseigné auprès d'un passant français qui m'informa qu'un règlement de comptes entre Arabes s'était soldé par un mort tué par balle.»
Surveiller tout Algérien
Sachant que les militants de la Fédération n'étaient pas armés, M. Ghafir avait alors décidé de suivre le fourgon de police-secours à l'hôpital Beaujon pour plus de précisions. «Sur les lieux, j'ai aperçu dans la salle des urgences le frère Rabie Rabia couvert de sang, atteint par balles à la bouche et au crâne. Il a hélas succombé au cours de son transfert.» Cette image l'a marqué à jamais, semble-t-il.
Le FLN de France a placé ses éléments aux alentours des métros et des grandes usines afin de surveiller tout Algérien qui «voulait défier le mot d'ordre de la grève». Malgré la perte ou l'emprisonnement de beaucoup d'hommes, la grève a été une réussite totale. Les Algériens avaient atteint leur objectif. Ils ont procédé à la mobilisation générale de tout le peuple derrière le Front de libération nationale, seul représentant authentique et exclusif du peuple algérien.
Ils ont gagné la bataille contre les messalistes pour éviter la constitution d'une troisième force.
La grève des 8 Jours a démontré à l'Assemblée générale de l'ONU que les exigences d'indépendance et de souveraineté du FLN étaient celles de la nation tout entière. Le mouvement de grève fut observé avec la même rigueur et la même ampleur par les travailleurs algériens émigrés sous l'égide de la Fédération de France du FLN.
S'il fut suivi à plus de 98%, c'est qu'il avait été soigneusement bien préparé.
A la reprise du travail, le 5 février 1957, dans certains établissements importants, comme Renault, Citroën, Peugeot et autres unités industrielles, les travailleurs algériens ont été accueillis par une ovation de leurs collègues français criant: «Voilà les Fellagas de retour!».
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Posté Le : 02/02/2023
Posté par : rachids