Algérie

Grand-Mère



«Les grands-mamans c'est des mamans à la retraite.» (Parole d'enfant)Doit-on vraiment attendre la mort de la forêt pour célébrer la Journée de l'arbre' Il est évident que les hommes ont commencé à organiser des commémorations sur divers thèmes, c'est justement pour attirer l'attention de l'opinion publique sur une situation qui tend, soit vers l'urgence, soit vers un risque d'oubli. Quand on fête la Journée de l'Indépendance, c'est pour rappeler à la dernière génération les conditions douloureuses dans lesquelles s'est effectuée cette libération et si on tente vainement de cacher par des artifices ou de dénaturer le message des pères fondateurs, on rappelle quand même les valeurs et le sens de la patrie... Quand on organise une journée pour les diabétiques ou pour les handicapés, on veut, après tout, sensibiliser tous les gens en bonne santé qui râlent toute la journée sur la mauvaise qualité de la vie dans ce pays qui a tout (ou presque) pour rendre ses citoyens heureux, qu'il y a des gens qui souffrent encore plus...
On se sent interpellé quand même lorsqu'on voit à la télévision (sur une chaîne du satellite) que dans une capitale célèbre pour être le théâtre des défilés syndicaux, des manifestations démocratiques ou des promenades d'amoureux, une joyeuse procession très colorée et très bruyante organisée pour fêter une catégorie de personnes de plus en plus absente dans la société industrielle occidentale: la grand-mère. Loin de l'image d'Epinal qui offre à nos yeux le portrait idyllique d'une vieille femme aux cheveux gris, bien calée dans son fauteuil, en train de caresser machinalement un matou blotti contre son flanc, et égrenant ses souvenirs dans le feu rougeoyant d'une cheminée, ces admirables et respectables personnes qui ont élevé quelquefois deux générations nous sont montrées par la télévision occidentale dans une effroyable solitude au crépuscule de leur vie: soit dans un modeste logis où elle passe la plus grande partie de ses longues journées entre une petite cuisine proprette où elle fait mijoter un petit plat dont elle seule a la recette: des odeurs d'épices et d'herbes aromatiques envahissent le petit appartement qui ne reçoit que de rares visites. C'est, soit le facteur qui se fait un devoir de remettre en main propre le courrier de l'aïeule, soit l'assistante sociale qui vient s'enquérir des nouvelles de la santé de cette octogénaire qui refuse de joindre sa solitude à celle des autres épaves qui sont, soit abandonnées par des enfants ingrats et égoïstes, pressés de cueillir les roses de la vie, soit jetées là par un cruel destin. C'est le tableau le plus triste d'une fin de vie. Je préfère la silhouette courbée qui s'appuie sur une canne et qui met toutes ses dernières forces pour faire le tour du quartier ou du village, s'arrêtant ici et là, pour demander des nouvelles de quelqu'un qui a disparu de la circulation depuis un certain temps. Est-il en voyage' A l'hôpital ou alors là où tout le monde finira par atterrir un jour ou l'autre. Quelquefois, elle arrête un jeune garçon et elle semble le reconnaître aux traits qu'il a hérités de son père: «Comment t'appelles-tu' Ah bon! J'ai connu ton père quand il était encore en culotte courte. C'était un gentil garçon! J'espère que tu lui ressembleras...» Tous les commerçants la hèlent familièrement, lui débitant des banalités dont elle n'est pas dupe. Et quand on lui demande des nouvelles de ses enfants, son visage s'éclaire et dit avec une fausse joie: «Ils vont bien! Ils sont dans le Nord où ils travaillent. Il faut bien que jeunesse se passe.» Elle n'a qu'un regret, c'est de ne pouvoir offrir à ses petits enfants ce trop-plein d'affection qu'elle a en elle et qui est de qualité. La qualité, c'est la spécificité des grands-mères: alors pourquoi les marchands bien avisés se sont-ils emparés du vocable pour vendre leurs tisanes, leur café ou d'autres aliments censés flatter le palais'
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