Algérie

Gouvernement : désarroi ou tentation répressive '



En accusant des "éléments" soutenus par des parties étrangères d'agir dans le hirak pour "détruire" le pays, le ministre de l'Intérieur ne fait que se conformer à un discours maintes fois ressassé par d'autres responsables avant lui.Les propos du ministre de l'Intérieur, Kamal Beldjoud, dissimulent visiblement un désarroi face à un mouvement inédit. "Ces parties étrangères soutiennent des éléments connus aux intentions claires et ?uvrent par leur biais à détruire le pays, le faire retourner aux années précédentes et le plonger dans des problèmes", a-t-il accusé. Comme souvent, pour tous ceux qui recourent à ce registre sémantique et à cet argumentaire, on n'en saura pas plus sur les parties qui "soutiennent" et encore moins sur l'identité de ces "éléments". Kamal Beldjoud pointe du doigt Israël, un Etat européen et un Etat arabe. Même ceux qui rendent coupables de "brutalités" les services de sécurité lors de la marche de samedi sont classés dans la catégorie des "éléments malveillants" qui veulent "déstabiliser" le pays.
S'il faut sans doute s'interroger sur le timing de cette sortie et sur les objectifs recherchés à travers ces accusations, au moment où les dirigeants n'hésitent pas à qualifier le hirak de "béni", il reste que le ministre ne fait que reprendre à son compte des arguments évoqués à chaque fois que le pouvoir se retrouve face à une situation à laquelle il peine ou refuse d'apporter une réponse adaptée. Peu avant la présidentielle de décembre, l'ancien ministre de l'Intérieur, Salah-Eddine Dahmoune, avait provoqué un tollé en proférant des propos gravissimes à l'égard des manifestants. "Le colonialisme a utilisé ces enfants contre l'Algérie.
L'esprit colonial, ou ce qu'il en reste, utilise des pseudo-Algériens, des mercenaires, des traîtres, des pervers et des homosexuels. Ces derniers se sont mis dans un seul rang. Ils ne nous appartiennent pas et nous ne leur appartenons pas", avait-il dit alors qu'il présentait un projet de loi au Sénat. Même en janvier 2017, Abdelmadjid Tebboune, alors ministre de l'Habitat, n'avait pas manqué d'accuser certains sites étrangers d'avoir fomenté les troubles qui avaient eu lieu à Béjaïa, dans la foulée de l'adoption de la loi de finances.
On peut aussi remonter au début du hirak, lorsqu'un certain Ahmed Ouyahia avait brandi le spectre "syrien" ou encore la charge contre les ONG qui, selon lui, auraient été derrière certains événements au sud du pays. Et l'accusation ne vient pas seulement du pouvoir. Le président du MSP, Abderrezak Makri a, lui aussi, accusé récemment le hirak d'être instrumentalisé par les "laïcs extrémistes" et infiltré par les "francs-maçons" et les "agents de la France". On est donc loin de l'innovation. Mais si l'on ne peut valablement exclure l'existence de parties "malveillantes", encore faudra-t-il les désigner nommément, ce recours systématique aux "accusations" de trahison et de "manipulations" laisse à penser que le pouvoir fait, au mieux, une mauvaise lecture de la situation ou, au pire, refuse d'écouter les doléances du mouvement dont la constance, le caractère pacifique et l'ampleur témoignent de sa grande maturité politique.
Visiblement à court de stratégie adaptée à la situation, comme l'illustrent les discours contradictoires sur le hirak, tantôt loué, tantôt stigmatisé, et en l'absence d'une approche appropriée, le pouvoir, prisonnier probablement de ses propres tiraillements, recourt à l'unique méthode qu'il a déjà éprouvée : tenter de disqualifier le hirak en le diabolisant.
À moins qu'au regard de l'évolution de la situation, de plus en plus compliquée avec la baisse tendancielle des recettes liées à la fiscalité pétrolière, aggravée par l'épidémie de coronavirus et qui ne manquera pas d'exacerber les tensions au sein du régime, le pouvoir ne décline ce qui pourrait justifier la perspective d'une reprise en main musclée de la situation.

Karim K.


Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Nom & prénom
email : *
Ville *
Pays : *
Profession :
Message : *
(Les champs * sont obligatores)