A Toronto, dans le camp retranché le plus
cher au monde, la place et le rôle du G20 né de la crise financière ont été
réévalués sans tact excessif. Réunis à la veille du G20, les Américains, les
Japonais et les Européens, plus la Russie, ont réaffirmé la hiérarchie des
instances internationales un moment battue en brèche par le risque
d'effondrement du système bancaire mondial et la menace d'une récession
profonde et durable.
L'inquiétude et le désarroi des pays les
plus riches confrontés à l'implosion rapide et brutale d'une bulle spéculative
monumentale les avaient contraints à ouvrir la gouvernance mondiale aux pays
émergents. Le G8, qui recevait des leaders africains en marge de ses travaux
pour construire une image internationale - plutôt paternaliste et aimablement
méprisante - de responsabilité charitable, semblait vouloir se fondre dans un
groupe plus diversifié. Certains estimaient qu'une irrésistible dynamique
démocratique était enfin enclenchée et que la gouvernance mondiale jusqu'ici
extrêmement concentrée, s'ouvrait enfin à des pays du Sud, qui incarnent des
relations internationales moins déterminées par les seules forces du marché.
L'instance informelle lancée à Washington en décembre 2008 sous les
applaudissements des sociétés civiles et des ONG du monde entier incarnait
effectivement l'espoir d'une redéfinition des priorités globales au profit du
plus grand nombre. La stabilisation, extraordinairement onéreuse, des systèmes
bancaires occidentaux responsables de la crise et l'amorce d'une reprise
économique ou, au moins, de la fin de la récession a remis les pendules à
l'heure d'un rapport de forces inchangé. Les pays émergents un moment
sollicités pour construire les bases d'une relance globale ont été
progressivement «recadrés».
La démocratisation n'est pas à l'ordre du
jour
Ainsi qu'on a pu le constater au fil des
éléments de ces derniers mois, le lieu exemplaire de la reprise en main
occidentale se situe dans l'enceinte bien plus formelle des Nations Unies. La
démocratisation de la gouvernance mondiale n'est pas à l'ordre du jour d'un
Conseil de sécurité souvent aux antipodes, à tous points de vue, de l'Assemblée
générale. La réaction brutale des Occidentaux à l'accord négocié avec l'Iran
par le président brésilien Lula da Silva et le Premier ministre turc Erdogan a
été l'indicateur éloquent du retour à la situation qui prévalait avant
l'invention du G20.
Le groupe des membres permanents du
Conseil de sécurité dirigé par les Etats-Unis a opposé frontalement et sans beaucoup
d'égards une fin de non-recevoir à l'initiative turco-brésilienne en imposant
des sanctions additionnelles à l'Iran qui avait pourtant accepté les conditions
d'un accord en tous points conformes aux desiderata publiquement exprimés par
les Occidentaux.
A Toronto, le G8 a confirmé la fin de
l'intermède démocratique. Dans la ville canadienne, les pays riches, qui
contrôlent le Conseil de sécurité, ont vidé le G20 de sa substance. Les pays
émergents, représentatifs de l'Assemblée générale des Nations Unies, ont été
confinés à un rôle de faire-valoir et mis devant le fait accompli des décisions
élaborées par le G8. Cette évolution était si prévisible que le président Lula
a décliné l'invitation à se rendre à Toronto en raison - motif diplomatiquement
acceptable - d'une catastrophe naturelle dans les régions du Nord-Est
brésilien.
Dans une ville en état de siège, les médias présents en force ont
été repoussés bien loin de l'enceinte fortifiée où se tenaient les travaux du
G20. Ces médias, pour l'essentiel, rendent compte des affrontements entre une
police sur le pied de guerre et des éléments perturbateurs du «Black Bloc». Les
nombreuses manifestations et protestations non violentes des altermondialistes
ont été quasiment passées sous silence. La société civile internationale tenue
à l'écart n'a pas voix au chapitre. Aucune des thématiques de développement ou
de lutte contre le réchauffement climatique n'a été abordée. Et ce ne sont pas
les cinq milliards de dollars - essentiellement des fonds déjà promis mais
jamais engagés - consentis par le G8 pour la santé maternelle et infantile dans
les pays les moins développés qui pourraient masquer l'indifférence glaciale
des nantis à l'égard des populations les plus vulnérables de la planète.
La fenêtre démocratique… refermée
Au delà de l'impudence des riches,
l'ordre mondial confirmé dans l'Ontario a le mérite de la clarté. Il appartient
ainsi aux Etats membres du G8 de traiter les questions de sécurité
internationale et de piloter les politiques économiques globales, les autres
pays membres du G20 pouvant seulement exprimer des points de vue sur ce dernier
point. L'agenda politique et la sémantique des communiqués ne laisse guère de
place à l'incertitude. La paix et la sécurité mondiale dans l'acceptation occidentale
se fondent sur la menace et l'intimidation. Et ce n'est pas la timide
remontrance adressée à Israël auquel les Occidentaux se contentent de demander
un allégement du blocus de Ghaza qui pourrait modifier une impression de veille
guerrière. Les avertissements adressés à l'Iran et à la Corée du Nord
traduisent les dispositions guerrières d'un groupe d'Etats qui a confirmé à
cette occasion la prééminence des marchés et la guerre comme moyen d'imposer un
ordre du monde. Le consensus très convenu sur la résorption des déficits et la
réduction de l'endettement des Etats est un résultat bien en deçà de toutes les
attentes. Le G20 malgré tous les artifices de communication n'est plus qu'une
caisse de résonance sans influence effective. La fenêtre démocratique ouverte à
Washington à la faveur de la crise financière s'est refermée à Toronto.
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Posté Le : 29/06/2010
Posté par : sofiane
Ecrit par : Said Mekki
Source : www.lequotidien-oran.com