Algérie

Gilles Manceron : la reconnaissance par la France des crimes contre l'humanité commis en Algérie "plus légitime que jamais"



Gilles Manceron : la reconnaissance par la France des crimes contre l'humanité commis en Algérie
La reconnaissance "claire" des autorités politiques françaises des crimes contre l'humanité commis en Algérie durant la période coloniale, notamment lors des massacres du 8 mai 1945, est "plus légitime que jamais", a affirmé l'historien Gilles Manceron.
"Il me semble que la demande de reconnaissance des faits (massacres du 8 mai 1945) et la soif de justice est urgente et plus légitime que jamais", a souligné Manceron dans un entretien à l'APS, estimant toutefois que cette reconnaissance "ne peut pas passer par des procédures judiciaires".
"C'est aux autorités politiques françaises de s'exprimer très clairement sur ce sujet, de favoriser l'établissement des faits en mettant fin aux dénis et en permettant l'accès aux archives", a-t-il assené, estimant que "le besoin de justice est intact et de plus en plus pressant".
Il a soutenu, à ce sujet, qu"'aujourd'hui, il incombe aux hommes politiques et aux historiens, et non pas à des juges, de satisfaire" le besoin de vérité sur les crimes contre l'humanité commis durant la période coloniale en Algérie.
Pour Manceron la France officielle "n'a pas encore reconnu ses crimes coloniaux".
"Quelques gestes et quelques déclarations ont été faites par des ambassadeurs de France en Algérie, mais il n'y a pas eu encore de paroles claires de la part des plus hautes autorités de la République française sur ce sujet, malgré les quelques avancées faites notamment par le président François Hollande en décembre 2012, lors de sa visite officielle en Algérie", a-t-il encore affirmé.
L'historien français a considéré, dans ce cadre, que "sans une reconnaissance claire par la France de ce que la page coloniale peu glorieuse de son histoire a contredit tous les principes des droits de l'homme et de sa devise républicaine, on ne peut envisager un avenir meilleur entre les deux pays".
"Si la France n'est pas capable de le faire, ses références aux droits de l'homme ne pourront pas être crédibles. Et cela ne concerne pas seulement les relations entre les deux pays mais aussi la question de la rupture profonde en France même avec le racisme colonial", a-t-il ajouté à ce propos.
Le rapport de la commission d'enquête "Tubert" fut complètement enterré
Interrogé sur le sort réservé au rapport de la commission d'enquête conduite par le général de gendarmerie, Paul Tubert, et qui fut installée par le général De Gaulle, le 18 mai 1945, l'historien Manceron a affirmé que le gouvernement français "avait tout fait (...) pour dissimuler" le rapport de cette commission qui avait tenu à décrire "le caractère aveugle de la répression".
"Le rapport de la commission Tubert "fut complètement enterré", a-t-il indiqué, à ce sujet. Il a rappelé que cette mission "visait à arrêter cette répression", mais, a-t-il déploré, pendant six jours, soit du 19 au 25 mai, la commission "n'a pas pu quitter Alger".
"Le gouvernement général d'Alger lui a demandé, ce qui n'était qu'un prétexte, d'attendre un membre de la mission qui était toujours à Tlemcen. Il ne l'a laissée partir pour Sétif que le 25 mai, quand tout y était terminé et, à peine arrivé à Sétif, elle fut rappelée à Alger le lendemain 26 mai, sans pouvoir se rendre à Guelma, car la répression menée par la milice européenne s'y poursuivait", a-t-il tenu à souligner.
Abondant dans le même sens, il a relevé que la répression "dura encore tout un mois, jusqu'au 25 juin, jour où le ministre de l'Intérieur Tixier arriva à Guelma et où il y eut encore 4 morts".
En somme, a-t-il affirmé, la commission Tubert "fut une menace" que le gouvernement provisoire du général de Gaulle "agita mollement pour faire cesser la répression".
Les manifestations du 8 mai 1945 se situaient dans un contexte d'essor du Mouvement national algérien
Revenant au contexte dans lequel s'étaient produits les évènements du Nord Constantinois, l'historien Manceron a estimé qu"'elles se situaient dans un contexte d'essor du mouvement national, marqué par la fondation des Amis du Manifeste et de la Liberté (AML) qui regroupaient les militants du PPA-MTLD, le parti indépendantiste alors dirigé par Messali Hadj, et ceux qui avaient lancé le Manifeste du peuple algérien derrière Ferhat Abbas et les élus qui s'étaient ralliés depuis peu à l'idée de l'indépendance du pays".
Les Algériens, a-t-il dit, avaient vu que la France avait été battue par l'Allemagne en 1940 et qu'elle ne s'était libérée qu'avec l'aide des Américains.
La France était donc apparue, a-t-il expliqué, comme vulnérable et cela avait donné de l'espoir aux militants nationalistes, de plus en plus nombreux, de l'indépendance algérienne.
"D'où la peur des milieux colonialistes qui ont voulu réagir à leur essor", a déduit Manceron qui a rappelé qu"'à Sétif, la police puis l'armée française sont intervenues contre le cortège des nationalistes algériens, ce qui a provoqué une panique parmi les manifestants et aussi des actes de violence aveugle".
"A Guelma, a-t-il ajouté, le scénario a été différent, ce sont des milices constituées par des civils européens qui ont été les principaux acteurs de la répression", une répression "qui était préparée de longue date et qui a duré un moi et demi".
L'historien Manceron qui a expliqué que c'était la dureté de la répression qui était à l'origine du mouvement de révolte rurale survenu dans le Nord Constantinois, a relevé que ce mouvement, qui "n'était pas toujours bien encadré par des militants nationalistes, a été sauvagement réprimé par l'armée française et par des milices colonialistes qui ont fait des milliers de morts au cours d'une répression aveugle et barbare où l'aviation et la marine ont été utilisées contre les douars et a duré plusieurs semaines".


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