Photo : Le mausolée de Sidi Amar, situé près de Ghazaouet
Ghazaouet compte des dizaines de marabouts qui gardent encore une place particulière dans la vie de bon nombre de Ghazaouetis. Les sanctuaires qui abritent les tombes de ces saints se trouvent un peu partout et continuent d’être visités.
En fait, ces marabouts suscitent à nouveau un dévouement frénétique, qui se manifeste autour de leurs tombes. Des jeunes et des moins jeunes, des femmes notamment, à la recherche de la baraka du saint, continuent de rendre visite, souvent discrètement, à ces saints guérisseurs. Cette pratique ancestrale perdure encore et revient en force pour ceux qui viennent se recueillir ou demander une faveur. Au fil des générations, des légendes des plus mystérieuses se sont retrouvées inextricablement liées à ces marabouts à qui on prête le pouvoir de guérir certaines maladies.
Et, quand la médecine montre ses limites, c’est vers ces marabouts que les malades se tournent, à la recherche d’une guérison miraculeuse. De facto, le «wali guérisseur» reçoit des malades qui viennent même d’autres régions. A titre d’exemple, le mausolée de Sidi Amar était, et est toujours, le plus vénéré de la région de Ghazaouet, car considéré comme «Moulay el bled» (nldr : le saint-patron de la ville). Il aurait vécu vers le XIIe siècle. D’après certains, Sidi Amar s’appellerait Sidi Amar Ben Antar et serait originaire de Djebel Antar, nom d’une montagne du Sahara. Tous les ans, après le séchage des figues, une «waâda» grandiose donne lieu à des sacrifices, festins et fantasia. On y vient des Beni Mishel, Souahlia, Djbala, Ouled Ziri, Djamaâ Sekhra, etc.
La waâda est aussi l’occasion pour faire des échanges commerciaux et de nouer des alliances par les liens du sang, le mariage…somme toute, un réseau social des temps anciens. Les gens viennent aussi pour se soigner. Sidi Amar a la réputation de guérir les maux d’estomac, les migraines et les fièvres. Les hommes choisissent les lundis et vendredis pour venir visiter son tombeau et implorer la guérison. Les femmes s’y rendent surtout les lundis, jours les plus propices, et prélèvent un peu de terre (imprégnée de la baraka) pour l’appliquer sur la partie malade en emportant souvent une petite quantité de terre afin de pouvoir poursuivre le traitement à domicile.
Aussi, les femmes qui n’ont pas d’enfants prennent un foulard du sanctuaire qu’elles portent autour de la taille 7 jours durant, puis le remettent à sa place. Selon une légende, Sidi Amar (encore jeune et célibataire) ainsi que son serviteur auraient été assassinés pendant qu’ils priaient par un homme des Trara (actuellement la commune de Dar Yaghomracen), qui avait juré de tuer la première personne qu’il rencontrerait sur son chemin à une époque où, semble-t-il, les Sahlis étaient en guerre avec les Traris! On ajoute que son assassin fut dévoré par les bêtes sauvages, alors qu’il s’enfuyait. Sollicité à ses derniers moments de faire connaître le lieu qu’il avait choisi pour son enterrement, il aurait répondu: «Après ma mort, chargez mon corps sur une mule noire et laissez-la marcher au gré de sa fantaisie. A l’endroit où elle s’arrêtera, creusez une fosse, ce sera là ma dernière demeure.» De nombreux saints auraient été inhumés à l’endroit où s’est agenouillé leur chamelle ou chameau.
Mausolée de Sidi M’Hamed El Ghrib
Non loin, il y a le mausolée de Sidi M’Hamed El Ghrib, à qui on attribue le pouvoir de guérir les yeux. Les malades se frottent l’œil 7 fois avec un œuf qu’ils déposent sur le tombeau. L’autre exemple est celui de Sidi Brahim, dit «Sidi Bouknadil». Le sanctuaire de ce saint est situé sur un mont près d’un olivier, à 200 mètres à l’ouest du village de Aïn Kolla, non loin de l’ancienne ferme Romero. Les anciens reconnaissaient aussi comme «wali» les lieux d’où se dégageaient des feux follets qui sont des flammes légères produites par les émanations de phosphore d’hydrogène, et les considéraient comme surnaturelles. Aussi, ils repéraient l’endroit où ce phénomène s’était manifesté en y entassant provisoirement des pierres.
Dans ce cas, l’endroit était le plus souvent surnommé Sidi bou Qnadil (Monseigneur des lumières) ou «l’homme aux quinquets». C’est exactement ce qui s’était produit à Aïn Kolla (Ghazaouet), encore que l’initiative de la construction de ce mausolée serait venue d’un colon européen. M. Romero, habitant à proximité, sans doute pour se concilier les bonnes grâces des habitants, fit construire à ses frais, vers 1921 et par des maçons européens, ce mausolée. L’emplacement où il s’élevait se serait trouvé dans l’ancien cimetière de Aïn Kolla. Les habitants étaient convaincus que ce geste généreux du colon Romero avait porté bonheur à son auteur qui était devenu riche par la volonté du pseudo-saint.
Du coup, on l’appela «hawch» de Sidi Brahim. Depuis cette époque, ce colon organisait tous les ans (vers la fin août, début septembre), une «waâda» à laquelle étaient conviés les habitants de Aïn Kolla et des alentours. Roméro faisait sacrifier, en l’honneur du pseudo-saint, un mouton de son troupeau. Seuls les hommes y assistaient. Sidi Brahim est spécialement invoqué pour les affections des voies respiratoires et des poumons (toux, bronchite, etc.). Les femmes qui y emmènent leurs enfants se munissent presque toujours d’une vieille faucille qu’elles passent sept fois sous la gorge du malade et qu’elles abandonnent après usage.
Lalla Ghazwana
Il y a aussi l’exemple de Lalla Ghazwana, une femme à la très grande beauté, considérée comme une sainte, qui a été inhumée dans une simple tombe de pierres sèches près du fortin construit par les militaires français à l’ouest du plateau dominant la ville et le port de Ghazaouet. Elle avait la réputation d’avoir été une femme guerrière d’un grand courage et chef des pirates et écumeurs de mer qui peuplaient la bourgade de Taount sous la domination turque. A sa mort, elle fut ensevelie dans la célèbre mosquée Djamâ Nour. On raconte aussi qu’après l’arrivée des Français et la construction du fortin, elle apparut plusieurs fois à un dévot pour lui ordonner de faire connaître à tous ses coreligionnaires que sa dépouille mortelle ne reposait plus à Taount mais à Baghdad.
Un habitant de la région a conté cette histoire dont il garantit la rigoureuse exactitude : «Un jour, il y a bien longtemps, le grand-père de l’un de mes vieux amis poursuivait un renard sur la montagne de Taount. A un moment donné, l’animal entra dans une grotte. En y pénétrant à son tour, le chasseur fut extrêmement surpris et effrayé de voir un Noir assis tranquillement sur le sol devant des monceaux d’or et de bijoux.
Aussitôt, il remplit ses poches d’or sous l’œil indifférent du Noir mais, quand il voulut sortir, l’ouverture de la grotte se ferma comme par enchantement. Il remit alors sur le sol ce qu’il avait dérobé, et, aussitôt, il s’aperçut que l’ouverture était de nouveau béante. Il voulut alors user d’un stratagème. Otant son burnous, il remplit le capuchon d’or et de bijoux, sortit seul de la grotte et, une fois dehors, essaya de tirer le vêtement à lui, mais au même moment la grotte se referma, déchirant le burnous en deux». Les conteurs rapportent encore qu’une femme couverte de vêtements blancs immaculés, de clochettes d’or et de bijoux étincelants, se promène à pas lents, au crépuscule, à travers les décombres de la ville ruinée et solitaire. C’est pourquoi les gens crédules ne s’attardent jamais le soir dès que le soleil se couche.
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Posté Le : 31/01/2018
Posté par : tlemcen2011
Ecrit par : O. El Bachir
Source : El Watan