Pour cette association exemplaire, le mois du patrimoine est loin d’être une date folklorique ou une corvée administrative.
Les journées d’études, organisées au village Rhoufi (100 km au sud de Batna, dans la vallée Oued Labiod) les 20 et 21 avril, sous le thème: «Le Centre d’interprétation culturel (CIC) au cœur du processus de développement local dans l’Aurès» était en ce sens historique! Il s’agit en effet, de la naissance effective de ce projet qui rayonnera sur l’Aurès, pays chaoui et terre d’une originalité humaine incontestable.
L’Histoire l’atteste, la terre en témoigne. Celle des Balcons de Rhoufi plus encore, et pour cause, l’identité farouche de ses habitants y est gravée, peu importe le nom que les autres peuples leur donnent, Libyens, Numides ou Berbères. Pour l’association des Amis de Medghacen, il n’est autre concept plus adapté que «l’interprétation» pour représenter cet univers-là.
Ici, l’interprétation ne signifie pas traduire ou expliquer. Ce concept est né en 1957. Dans son ouvrage «Interpreting our Heritage», le journaliste américain Freeman Tilden a établi ses 6 principes et 5 concepts, visant à introduire et mobiliser l’émotion de tous les publics, et permettant de donner du sens aux différents éléments observés par le visiteur sans entrer dans une explication scientifique, usant pour cela d’une approche systémique. Une théorie qui considère que tous les savoirs organisés sont susceptibles d’être reliés entre eux de telle sorte à constituer un ensemble cohérent.
Selon Azzedine Guerfi, président de l’association, les objectifs des journées visent à étudier les moyens et les conditions de la mise en place du CIC, l’élaboration des grandes lignes des plans scientifiques et culturels et la constitution de deux noyaux de comités consultatifs. Le premier à visée décisionnelle et le second à visée scientifique.
Le CIC, quant à lui, sera aménagé dans le site des premiers Balcons de Rhoufi, abandonnés depuis des années. Il surplombe le canyon sur une surface de 1.800 m² comportant une bâtisse de 300 m². L’APC de Ghassira, dont dépend le site, a donné son accord pour cette concession qui sera signée incessamment.
L’ampleur de l’événement est telle que plusieurs institutions nationales et internationales ont adhéré au projet. L’association a pu obtenir l’accord de principe de partenariat avec l’Unesco, l’Institut italien, l’Institut français, le ministère de la Culture et la direction de culture de Batna.
Des partenaires financiers majeurs tels que l’Agence de développement social (ADS) et l’Agence nationale de gestion du micro-crédit (Angem) et même des bureaux d’études privés bénévoles sont aussi partenaires de cette aventure devant quoi personne ne résiste.
Les représentants de la quasi-totalité de ces institutions étaient présents. A l’exemple de Djillali Aichioune, expert en management culturel et directeur du bureau d’études Palm Prod qui, dans sa présentation de l’aménagement de l’ensemble du site du CIC, a proposé plusieurs prototypes de scénographies possibles. Un tableau très concret de ce qui pourrait être un centre d’interprétation culturel.
Des échelles de temps et d’événements pouvant représenter la particularité aurésienne; cette ancienne société avec sa langue, ses traditions, son habitat à terrasses, son calendrier agraire, son droit coutumier, son indépendance légendaire, son code d’honneur et de solidarité, son regroupement en «fraction» et en tribus…
Après les débats nourris du premier jour, les participants ont pu sortir sur terrain le lendemain, à la redécouverte des sites, et à la recherche de bouffées d’air et du soleil hésitant qui illuminait, au gré des nuages, le teint ocre du canyon.
Interpréter l’esthétique du passé!
Vendredi, 9h du matin. On quitte l’auberge de jeunes de Rhoufi où a lieu la rencontre, pour les balcons d’Afflous (noix en tamazight chaoui), premier nom du site avant que le Français Rhoufine la baptise de son nom et ne le fasse sortir de l’anonymat. Un cortège de voitures se forme et roule à petite cadence.
Rien ne presse. Le temps ne compte plus. D’abord, un bref passage au site où sera aménagé le CIC. Là, Une gallaâ du siècle dernier, aujourd’hui abandonnée, se dresse comme une forteresse post-troglodyte composée d’abris communautaires et du grenier collectif et ceinturées de figuiers de Barbarie.
A sa vue, les ardeurs se calment. Farida et Christine, fondatrices de l’Association algérienne pour la sauvegarde et la promotion du patrimoine archéologique (AASPPA) et de la revue Ikosim, contemplent le site qui les passionnent. Elles voulaient initier un projet de restauration de tous les greniers collectifs de la région. Les belles âmes! Titanesque sera la tâche d’une seule restauration. Le cortège se reforme, direction le ravin. A son bord, plusieurs vendeurs proposent de la poterie d’importation, chinoise et tunisienne!
L’artisanat se perd, regrette El Hachemi Boumehdi, l’artiste céramiste. Garés, les véhicules s’entremêleraient presque, le flux de touristes ne cessant d’augmenter. Avant d’entamer la descente, le groupe se réunit. Comme souvent devant autant de beauté, les mots manquent pour les uns, fusent en une suite de synonymes pour les autres. Au vu des maisonnettes en pierre adossées au rocher, vint naturellement l’histoire de leur dernière locataire.
Efforts
Une femme d’une cinquantaine d’années qui y vit encore. Tous s’étonnent. Elle ne vit que de lait et de dattes? s’interrogent quelques-uns. Et de ses efforts répondent d’autres. De l’autre versant du canyon, le bordj-hôtel nargue le groupe. Quelques aventuriers refont l’ascension des sentiers menant à l’hôtel Transatlantique inauguré en 1902. De nombreuses personnalités du show-biz et de la politique ont séjourné ici avant sa fermeture en 1965.
Pourquoi pas nous? s’amusent à penser les nouveaux convives de l’établissement, en attendant sa restauration, un jour. De là, direction M’chounech. La maison du Colonel Si L’Haoues, transformée en musée par son fils Chaâbane Hamouda, 30 km plus au sud, dans le territoire de la wilaya de Biskra. L’histoire et la bravoure du Colonel y flottent encore. Une histoire qu’on ne raconte pas encore dans les livres scolaires.
Une lutte de plus pour ses dignes descendants. Plus bas, Akhennak (les gorges) s’offre au groupe. Il s’agit du prolongement des canyons de Rhoufi sur une distance de 42 km. Guerfi explique les techniques ancestrales d’exploitation de l’eau pour l’irrigation des jardins et les plantations. Des aqueducs de part et d’autre du canyon, construits sur plusieurs niveaux. Le chiffre 42 ne laisse pas indifférent ce marathonien et organisateur du marathon international de Medghacen. Il sursaute à l’évocation de cette distance et projette même l’organisation d’un raid sur le parcours du oued.
Cela a été tenté, raconte Azzedine, par les plus aguerris des membres de l’association. Une réelle épreuve que tous n’ont pas supportée. Un homme s’était évanoui. Un médecin était présent. Il pouvait s’en occuper s’il n’était pas dans les vapes.
«J’ai dû le porter sur mes épaules et escalader le canyon», s’était-il rappelé.
Il y a tant à faire. Il y a tant à ressentir. Il y a tant à interpréter à Rhoufi.
Photo: Abandonnée depuis fort longtemps, cette région des Balcons qui surplombe le canyon est au centre d’un intérêt mérité
Sami Methni
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Posté Le : 28/04/2017
Posté par : akarENVIRONNEMENT
Photographié par : Photo: kahinaphotos.canalblog.com ; texte: Sami Methni
Source : elwatan.com du vendredi 28 avril 2017