Dès le mois de mai, les citadins passent à l’heure d’été, destination El Ghaba, l’oasis urbaine de Ghardaïa.
Célèbre dans le monde entier pour son architecture unique, Ghardaïa garde encore jalousement beaucoup de ses secrets. des us et coutumes restent à découvrir dans ce M’zab si riche où les traditions sont jalousement conservée dont Aamar et Allaye, deux lieux entre la ville et la palmeraie, qui ponctuent la vie dans cette région du sud du pays où les habitants ont, de tout temps, résidé dans la ville en hiver et la palmeraie en été.
Le rituel de l’été et de l’automne est donc une tradition très affectionnée car empreinte de convivialité et de petits plaisirs qui font des souvenirs d’enfance inoubliables. Vous l’aurez compris, il s’agit d’une escapade estivale où les habitants alliaient détente et labeur, puisque la saison passée à la palmeraie était ponctuée par les tâches ménagères et les jardins potagers familiaux.
Cheikh Salah Bahmed, président de la Fondation Ghardaïa et cheikh Omar Allout, président des «Oumanas esseil ouel aarch», patriarches en charge de la préservation du système séculaire de partage de l’eau de Ghardaïa ont bien voulu nous parler de cette tradition qui se perpétue depuis des lustres.
Aamar, des vacances d’été dans la palmeraie
Dès le mois de mai, les citadins passent à l’heure d’été, destination El Ghaba, l’oasis urbaine de Ghardaïa mitoyenne pour y passer la saison chaude de l’année. Ils y vont en prenant tout ce qu’ils ont comme vêtements d’été, un minimum d’ustensiles de cuisine, ainsi que tout ce qui leur servira pour passer les 6 mois de l’été.
Cheikh Salah Bahmed, un féru du patrimoine immatériel du M’zab, garde des souvenirs vivaces de l’Aamar, «qui est en fait le départ vers l’oasis effectué chaque année à la même période par la communauté ibadite de Ghardaïa».
Un grand événement célébré en grande pompe par les grands et surtout les petits enfants.
«Les garçons mettent alors leurs plus jolis habits, sarouel et gandoura alors que les fillettes sont habillées en robe blanche avec au cou des colliers faits de clous de girofles et de barir, nos belles petites dattes vertes non fécondées et odorantes de la taille d’une petite bille verte», se rappelle cheikh Salah.
Le jour J, sous la conduite du grand imam, des dignitaires et des notables de Ghardaïa, toute la population se met donc en route à pied vers l’oasis distante de 5 km du ksar, entonnant des chants amazighs et des invocations rythmées récitées par le grand imam qui ouvre la marche.
«Aamar, c’est le bonheur des enfants qui courent un peu partout, en poussant des cris de joie, tenant dans leurs mains de petits sacs multicolores que leur maman aura remplis de friandises, surtout une pâtisserie très ancienne, ‘‘zerza’’ ou ‘‘tazemmit’’, faite à base de semoule, de lait caillé séché, de dattes confites et de smen saharien traditionnel.»
Cette sorte de pâte de dattes, préparée aussi bien pour Aamar que pour le premier jour du Ramadhan dans toutes les oasis du Sahara algérien, est très prisée et rassasie nos marcheurs qui, arrivés à l’oasis, et durant les deux jours qui suivent, organisent des repas collectifs et familiaux, à base de chakhchoukha, galette de semoule très fine, enduite de beurre et de sauce rouge à la courge, oignon et viande et sucrée aux dattes écrasées.
«Ainsi commence l’été oasien tout en douceur et dans le bonheur total», les commentaires du président de la Fondation Ghardaïa sont empreints d’une émotion très touchante, tandis qu’il se rappelle les faits et gestes de sa mère avec une précision déconcertante.
«Elle excellait dans le tissage des h’nabel et khomri qui font l’essentiel de la literie traditionnelle, mais aussi de toutes sortes d’habits en laine dont la famille usait l’hiver durant.»
Le travail de la terre revêtait toute son importance durant l’été, où toutes sortes de légumes étaient cultivés dans les jardins potagers familiaux étagés, en plein cœur de la palmeraie où plus d’une centaine de variétés de dattes faisaient la richesse du verger local.
«C’est vous dire l’importance de la terre dans la culture locale, notamment le palmier, notre arbre providence qui a sauvé l’existence des gens dans le Sahara, dans toutes les familles on s’inquiétait de la présence de certaines variétés de dattes dont la spécificité était celle de tomber sans avoir à escalader le palmier, quand on mariait sa fille, on se souciait notamment de l’existence de la variété ‘‘Azerza’’ pour s’assurer que sa fille n’allait pas mourir de faim».
Les gens étaient pauvres dans le temps et l’alimentation très rationnée, y compris la datte, et comme les gens travaillaient beaucoup «souvent la ration quotidienne restait insuffisante et la faim taraudait les femmes qui se dépensaient énormément, mais ceci est une autre histoire...».
Allaye, une rentrée automnale au ksar
Le retour au ksar sonne le glas de l’automne, cheikh Omar Allout, président des «Oumanas Esseil Oual Aarch» de la ville de Ghardaïa apprécie particulièrement la vie ksourienne qui reprend en cette période de l’année où les gens quittent la palmeraie et ses plaisirs vers la vieille médina.
Allaye, c’est aussi l’occasion d’une grande fête. Un jour avant le grand départ, les habitants de l’oasis organisent, en communauté, un déjeuner grandiose à la grande place Hamou Ouelhadj, située au beau milieu de l’oued M’zab.
«Un grand banquet est organisé avec en plat roi un couscous des grands jours qui sera servi à des milliers de personnes après un cérémonial religieux très particulier où les dignitaires de la Grande mosquée et autres imams et membres des ‘‘Azzabas et Irouanes’’ réciteront des versets du Coran et prieront pour que l’année soit bonne en crues d’oueds car les habitants ont beaucoup souffert du manque d’eau dans la vallée aride du M’zab des siècles durant.»
La nuit du grand départ, sur une placette très réputée de l’oasis appelée «El Maarad» ou la place de l’exposition, la troupe folklorique Dendoune Sidi Blal entonnera toute la nuit des chants mi-religieux, mi-amoureux.
«Ce sont beaucoup plus des complaintes d’anciens esclaves au son des tambours et des castagnettes hérité d’Afrique noire et qui racontent une tranche d’histoire le temps d’un spectacle.»
Le lendemain, de très bonne heure, c’est toute la population qui a séjourné dans la palmeraie durant les six mois d’été, qui se rassemble sur la place Hammou Ouelhadj pour prendre le départ vers la ville, toujours sous la conduite du grand imam et des dignitaires de la Grande mosquée.
Pour cheikh Allout, ce retour au ksar est une fête de l’enfance, «les bambins sont toujours à l’honneur chez nous. Les garçons sont habillés de leur plus belle gandoura et les petites filles portent des malehfas rouges, parées de quelques bijoux de leur mère, à leurs mains sont suspendus les mêmes petits sacs multicolores de l’Aamar que leur maman aura remplis de bonbons».
Tout ce beau monde traverse allègrement les kilomètres qui le séparent de la ville en chantonnant des hymnes à la gloire de Dieu, demandant beaucoup de pluie pour l’année à venir.
Pour tous les Mozabites, Aamar et Allaye gardent un attrait particulier affectionné pour son ancrage dans l’histoire du M’zab. Une tradition qui les lie à la nature, à la terre, à Dieu. Elle garde son côté festif pour adultes et petits et marque les saisons de chaleur et de froid qu’on vit distinctement.
Tout le monde vous le dira à Ghardaïa, contrairement à ce que l’on pourrait penser, Aamar, n’est pas la saison des vacances car, en fait, on travaille plus en été pour avoir un hiver tranquille. C’est donc le tissage, la préparation et le séchage du couscous, la conservation des fruits et légumes abondants dans la palmeraie, la récolte des dattes, entre autres, qui ponctuent ces longs mois d’été.
Allaye, le retour, marque une phase de normalité, la rentrée des classes, le boulot, le commerce ...
* Photo: Cheikh Salah Bahmed et Cheikh Omar Alloud, les templiers du patrimoine du M’zab.
Houria Alioua
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Posté Le : 24/07/2013
Posté par : akarENVIRONNEMENT
Photographié par : Photo: © El Watan ; texte: Houria Alioua
Source : El Watan.com du mardi 23 juillet 2013