Radical, c'était peut dire. Georges Habache, décédé avant-hier à Amman à l'âge de 82 ans, était un militant absolu. Fondateur du Front Populaire de Libération de la Palestine (FPLP), qu'il a dirigé pendant plus de trente ans, ce dirigeant mythique de la résistance palestinienne était devenu une icône, un symbole qui dépassait largement le poids de son mouvement. Chrétien orthodoxe, ce médecin originaire de Lod, en Palestine, a fait ses études et ses classes à Beyrouth dans le bouillonnant Beyrouth de la première moitié du vingtième siècle. Mais il n'a pas terminé ses études que sa famille est expulsée de Palestine, à la suite de la création de l'Etat d'Israël. Il s'oriente progressivement vers la politique, pour la prise en charge de ses compatriotes, qui sont alors de simples réfugiés. Il quitte Beyrouth pour s'installer en Cisjordanie, alors sous contrôle jordanien, auprès des siens. Mais peu à peu, il s'oriente vers l'activité politique, pour s'orienter vers le nassérisme, alors très en vogue en raison de la popularité de Nasser. Il crée un premier mouvement politique, et fait le dur apprentissage de l'autonomie politique: entre le soutien qu'il recherche auprès des pays arabes et le contrôle que ceux-ci tentent d'imposer aux Palestiniens, il n'arrive guère à se frayer une voie. D'autant plus qu'un autre leader de sa génération, Yasser Arafat, va se lancer dans la lutte armée. Les commandos palestiniens ont alors le vent en poupe, particulièrement après la défaite arabe de 1967. Georges Habache y voit trois signes: d'abord, les régimes arabes, conservateurs, bourgeois, sont incapables de jouer leur rôle dans la libération de la Palestine; ensuite, la guerre populaire apparaît comme le chemin le plus évident; enfin, il plaide pour une nouvelle démarche qui consiste à mener la révolution dans le monde arabe, devenue pour lui un préalable de la libération de la Palestine. Le FPLP est alors à son apogée, et se lance dans des actions d'éclat. En septembre 1970, il lance une opération spectaculaire, en détournement trois avions à la fois. Il le paiera très chèrement. Le Roi Husseïn, qui soupçonne les Palestiniens de vouloir le renverser, après avoir sérieusement miné son autorité, se lance dans une guerre sans merci, qui débouche sur «Septembre Noir», et l'expulsion des Palestiniens de Jordanie. A cela s'ajoute la scission de Nayehf Hawatmeh, un des dirigeants palestiniens de gauche les plus brillants, qui crée le FDLP (Front Démocratique pour la Libération de la Palestine). C'est alors le retour à Beyrouth. Mais là encore, la tourmente attend Georges Habache. Le pays du cèdre s'engage dès 1975 dans une guerre civile, dont les Palestiniens ont été le prétexte, et à laquelle ils se trouvent impliqués. Tous ces revers ne mettent pas fin à la détermination de Georges Habache, car le FPLP, qui recrute largement chez les chrétiens de Palestine, poursuit la lutte armée à partir du Liban, seule frontière encore accessible. L'invasion du Liban par Israël en 1982, et l'expulsion des Palestiniens, marque la fin d'une étape. D'autant plus que peu après, une autre génération prend le relais, celle de l'intifadha. Les symboles de la première génération de lutte s'estompent, tels Abou Djihad et Abou Iyad. Malgré son radicalisme, Georges Habache a, cependant, réussi à prendre les virages nécessaires quand la résistance palestinienne se trouvait menacée. Pendant deux décennies, il a refusé tout compromis et toute négociation, estimant que seule la révolution populaire pouvait donner aux Palestiniens un Etat. Il a, cependant, accepté l'idée de solutions transitoires, ce qui offrait aux Palestiniens une marge de manoeuvre. Sa complicité avec Yasser Arafat, malgré des divergences sérieuses, était réelle. Le chef de l'OLP avait un profond respect pour son compagnon et utilisait les positions tranchées de Habache pour négocier. Mieux encore, aucun d'eux n'a jamais mis en avant sa confession, ce qui a permis d'épargner aux Palestiniens le communautarisme qui s'est imposé plus tard. Quant à Georges Habache, militant laïc, il accordait le caractère sacré à deux seules entités: Yasser Arafat et l'unité nationale palestinienne. «Yasser Arafat est plus précieux que ma propre vie», disait-il. Malgré sa maladie, Habache était testé un tribun hors pair. S'appuyant, de sa main invalide, sur la tribune, brandissant sa main gauche pour souligner les mots, ses discours étaient un véritable plaisir, alliant le sens du verbe et une cohérence politique incomparable. Homme de grande culture, c'était aussi un homme d'excès, car pour lui, seuls les excès pouvaient, à un moment de l'histoire, attirer le regard du monde sur le drame palestinien. Et il les assumait. Ses positions lui avaient valu une hostilité arabe presque générale. Seuls quelques pays, dont l'Algérie, étaient fréquentables pour lui. C'est peut-être le prix à payer dans cette partie du monde pour rester un pur. Georges Habache l'était.
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Posté Le : 28/01/2008
Posté par : sofiane
Ecrit par : Abed Charef
Source : www.lequotidien-oran.com