CINÉMA - Nasser Bakhti brosse le portrait de cinq exclus, avec Genève pour toile de fond. «Aux frontières de la nuit» est sorti cette semaine sur les écrans romands. Rencontre. Au 2e étage d'un immeuble défraîchi des Acacias, la lourde porte s'ouvre en grinçant. Nasser Bakhti est seul dans les locaux de Troubadour Films, la boîte de production qu'il a fondée voici quinze ans avec son épouse Béatrice. Le réalisateur a l'accueil chaleureux, mais le verbe amer. «On y a cru. Les affaires ont marché à une époque. Mais je ne sais pas si on va pouvoir continuer encore longtemps.» Ce jour-là, comme un avertissement, Nasser Bakthi porte une chemise noire. Aussi noire que son humeur.
Et pour cause. Le Temps a méchamment démoli son film –son premier long métrage de fiction pour le cinéma–, sorti mercredi en Suisse romande. Le réalisateur est abasourdi. Les goûts et les couleurs des critiques ne se discutent pas, reconnaît-il. Le film comporte sûrement son lot d'écueils. «Mais de là à n'y trouver aucune qualité! De là à anéantir mon travail et celui de toute une équipe! J'ai seulement voulu réaliser un film simple, sans prétention, qui parle aux gens.»
Hasard politique
Né à Alger de parents berbères, «des nomades très simples», Nasser Bakhti s'est installé à Genève il y a seize ans. Il y a suivi sa femme, qui venait de trouver un emploi. «Nous habitions à Londres. Déménager a été une décision difficile à prendre. Je m'étais créé des attaches. Mais aujourd'hui, je me sens tout à fait genevois.» A tel point que la ville constitue le décor nocturne de son film. «Je vis dans un quartier populaire. J'ai eu envie de m'intéresser aux exclus, à ceux qui nous entourent mais qu'on ne voit jamais.»
Un Malien sans papiers (Damanta Diarra), deux flics paumés (Martin Huber et Gaspard Boesch), une toxicomane (Madeleine Piguet) et un faux étudiant algérien (Hicham Alhayat) sont les protagonistes de Aux frontières de la nuit. Leurs destins – leur misère plutôt – s'entremêlent une nuit, dans les rues de Genève. «Chacun d'entre eux survit à sa manière. Mais tous ont en commun leur solitude», explique Nasser Bakhti.
Heureux hasard, la sortie du film précède de quelques jours la votation de dimanche sur l'asile et les étrangers. «Je suis heureux que le film soit rattrapé par l'actualité politique. Il prend tout son sens aujourd'hui, même si le scénario a été écrit il y a cinq ans.» Les dernières images de Aux frontières de la nuit montrent des clandestins arrêtés sur une plage. Nasser Bakhti déplore d'ailleurs l'attitude des démocraties, qui «essayent de propager la méfiance envers les étrangers, alors qu'ils ont construit leurs routes et leurs immeubles».
Bons et généreux
Pourtant, le réalisateur l'affirme d'expérience, les Suisses sont généreux et tolérants. Il se souvient du Silence de la peur, son moyen métrage sur la violence et le racket à l'école. «Lors d'une émission de télé, j'ai évoqué mes problèmes d'argent. Le film était sélectionné à Cannes Junior. Il était tourné en vidéo et il me fallait une copie 35 mm. Des téléspectateurs m'ont appelé dans la journée pour me proposer leur aide. à‡a m'a beaucoup touché, parce qu'ils ne se sont pas arrêtés à mes origines. Pourtant, ils avaient vu ma tête!»
Saveurs de la Suisse gourmande, une série de documentaires sur la cuisine traditionnelle, lui a permis de sillonner le pays. «Même dans les régions les plus reculées, j'ai été accueilli chez les gens comme si je faisais partie de leur famille.» Bientôt, Nasser Bakhti retournera voir ces paysans: sa prochaine fiction abordera le fossé culturel qui sépare parfois les villes des campagnes. Il a retrouvé le sourire. La vie n'est pas si noire, finalement. I
Posté Le : 22/09/2006
Posté par : hichem
Ecrit par : RAPHAËLE BOUCHET
Source : www.lecourrier.ch