Algérie

Générosité citoyenne



Les associations et les bénévoles se mobilisent pour doter les familles démunies de packs de produits alimentaires de base, deux à trois fois par semaine, et offrir aux SDF des repas chauds.Les restaurants Errahma, ouverts habituellement à l'occasion du Ramadhan, sont hermétiquement fermés. Point de dérogation en faveur des démunis, des sans-abri et des jeûneurs de passage en ville. En cette période de confinement, la solidarité s'exprime autrement. "Nous voulions offrir des repas chauds. Un traiteur, que nous avons sollicité, nous a demandé 750 DA par repas. Le calcul est simple. Il nous faut 75 000 DA par jour pour prendre en charge 100 personnes. C'est beaucoup d'argent. Nous avons renoncé au projet", rapporte Kader Affak, président de l'association Le C?ur sur la main.
Il a pensé à une solution plus économique : préparer des plats avec le concours de bénévoles. L'idée a été également vite abandonnée. "Il est difficile d'assurer des règles d'hygiène strictes et il nous fallait un local d'une superficie minimale de 400 m2. Quelle association peut s'offrir un tel espace '", regrette notre interlocuteur.
Depuis l'expiration du bail du local qu'il louait, le collectif est hébergé provisoirement dans un petit entrepôt prêté par l'association Artistico, situé sur la route de Baraki, dans la proche banlieue est d'Alger. Mercredi, début d'après-midi, deux jeunes volontaires déchargent des cartons de provisions : huile de table, sucre, lait, pâtes, tomate en conserve, légumes secs, couches-bébés? "Nous nous sommes résolus à offrir des colis alimentaires à défaut de repas chauds. Nous prenons en charge 440 familles nécessiteuses, à raison d'une dotation tous les dix jours", informe M. Affak.
Les pertes de revenus induites par la crise sanitaire (journaliers, professions libérales, congés sans solde) ont augmenté le nombre des démunis. "Les gens crèvent de faim. C'est une réalité", alerte-t-il. La fermeture des échoppes, des restaurants et fast-food, l'arrêt des transports en commun et le ralentissement des activités des entreprises, des chantiers et des usines ont fait basculer des milliers de foyers dans la précarité.
L'allocation de solidarité d'un montant de 10 000 DA par famille, affectée par l'impact économique du confinement, ne suffit pas à compenser la perte partielle ou totale des ressources. "Je me suis demandé pourquoi les autorités nationales ont autorisé la réouverture des bijouteries, me disant, qui ira donc acheter des bijoux en ces temps difficiles ' J'ai fini par avoir la réponse : c'est pour permettre aux citoyens de gager leur or ou de le vendre", déplore le quinquagénaire.
Dans un grand local se trouvant dans l'enceinte du stade du 20 août (Belouizdad) attribué par les collectivités locales, un groupe d'étudiants s'échine à remplir des sacs de 18 produits alimentaires qui seront distribués aux familles nécessiteuses des quartiers populaires. "La plus grande partie des dons ira aux résidents de Belouizdad, puis à ceux de Bab El-Oued, de Hussein Dey et de Kouba. Cette année, nous avons recensé, en collaboration avec les services des APC, environ 27 000 familles dans le besoin, dans les 38 wilayas où nous sommes déployés. Elles sont nettement plus nombreuses que les années précédentes.
Les associations ont adapté leurs données et leur logistique au nombre des personnes à aider et aux spécificités de la situation sanitaire", explique Omar Benabdaziz, coordinateur de l'association Sidra, membre du réseau Algerian Food Bank. "Habituellement, nous assurons une partie des approvisionnements de trois ou quatre restaurants Rahma. Ce Ramadhan, ils sont fermés. C'est dur pour les sans-abri", répercute-il.
La mission de repérer les SDF (sans domicile fixe) dans les quartiers et de les conduire aux centres de confinement qui leur sont réservés échoit au Samu. Récalcitrants, ces derniers s'entêtent à rester dans la rue. "Nous leur offrons des repas chauds clandestinement", se hasarde à confier Nabil.
Lui et ses copains ne sont pas affiliés à une association ou autre organisation caritative. Sensibles à la situation des sans-abri, ils ont décidé de braver les interdits et de leur porter assistance. "Nous nous sommes rendu compte que si nous n'agissons pas en cette période de confinement, ils ne mangeraient pas. Nous leur donnons des plats préparés à la maison. Nous mettons à contribution nos parents", poursuit-il.
Dans la cantine de l'école primaire Sadek-Rabah à Fontaine-Fraîche, quartier localisé en contre-haut de Bab El-Oued, d'autres volontaires, encadrés dans le réseau ABS (Algérie-Bénévolat-Solidarité), mettent les touches finales en cuisine, pour que tous les mets soient prêts à l'heure de la distribution, vers 18h. Menu du jour : une salade de pâtes, des vols-au-vent au poulet, un morceau de qalbellouz et une bouteille de jus. "En pleine épidémie de Covid-19, nous avons décelé un besoin chez le personnel hospitalier. Nous offrons une moyenne de 120 repas par jour.
On nous appelle régulièrement pour se rassurer que nous ne manquerons pas le rendez-vous du ftour", expose Mohamed Yassine Yahiaoui, pilote de l'opération. Khalti Fettouma, une ancienne assistante sociale de 75 ans, est un soutien précieux pour le groupe. "Elle participe aux courses et utilise son réseau pour capter des donations. Une fois, elle est arrivée avec cinq grosses dindes et un grand sourire. Nous avons assez de viande pour deux jours", raconte le jeune homme. Il nous montre des sacs de pomme de terre. "Un donateur nous a offert 300 kg. Nous en avons assez pour tout le mois.
Il nous manque, en revanche, de la viande et de l'emballage." Les barquettes en papier aluminium et les boîtes à gâteaux en carton engloutissent, nous dit-il, jusqu'à 50% du coût du colis-repas. Les prix se sont envolés durant la crise. Les dons en nature ou financiers constituent le n?ud gordien du mouvement de solidarité. "Le premier jour du Ramadhan, nous avions 15 poulets au réfrigérateur et 20 000 DA dans la caisse. Petit à petit, nous avons pu avoir des dons et des financements. Nous utilisons les réseaux sociaux et le bouche à oreille", témoigne Mohamed Yassine.
Les appels aux dons lancés sur Facebook, Instagram et Twitter sont
souvent fructueux. "Nous avons pu obtenir et dépenser 280 000 DA depuis le 22 mars grâce à la solidarité sur les réseaux sociaux et entre amis. Nous aurions souhaité pouvoir aider davantage de familles. Les besoins sont importants", signale Kader Affak. Le réseau Algerian Food Bank recourt à la collecte de denrées alimentaires dans les grandes surfaces et les redistribue aux familles nombreuses, aux femmes élevant seules des enfants, aux orphelinats et aux foyers pour personnes âgées. C'est l'opération Soliram ou Solidarité Ramadhan. "Nous ciblons des partenaires et récupérons les produits non utilisés.
Nous procédons aussi au recyclage des emballages en collaboration avec Extranet", raconte Omar Benabdelaziz. De nombreuses associations s'investissent dans des missions caritatives ajustées à la crise sanitaire. Elles coordonnent leurs actions. "Nous troquons les denrées alimentaires que nous recevons en grandes quantités. Beaucoup de collectifs se mobilisent pour porter assistance aux journaliers sans revenu", précise Mohamed Yassine Yahiaoui.
"Depuis des semaines, les gens donnent de l'argent pour l'achat de bavettes et de gel hydroalcoolique et pour offrir des repas aux médecins et aux paramédicaux pour aider financièrement ceux qui n'ont plus de revenus. Alors, quand je vois des bousculades autour du marchand de bouquets de coriandre ou de zlabia sans distanciation sociale, je peste !", s'emporte une chirurgienne, impliquée dans les actions de solidarité.
Elle a l'impression que l'élan de générosité est happé dans un tourbillon de besoins incommensurables sans la perspective d'une sortie de crise proche. "Nous arriverons fatalement à un moment où les gens n'auront plus rien à donner", craint la praticienne.


Réalisé par : Souhila Hammadi


Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Nom & prénom
email : *
Ville *
Pays : *
Profession :
Message : *
(Les champs * sont obligatores)