Algérie

Génération Zeniter Alice Zeniter est la lauréate du prix des Libraires de Nancy-"Le Point" pour "L'Art de perdre" (Flammarion). Il lui sera décerné au Livre sur la place.



Génération Zeniter Alice Zeniter est la lauréate du prix des Libraires de Nancy-

PAR VALÉRIE MARIN LA MESLÉE - LE POINT

Exploratrice. Dans «L'Art de perdre», Alice Zeniter envoie son héroïne, Naïma, dans cette Algérie qu'elle ne connaît pas et que son grand-père, harki, a dû fuir. © Astrid di Crollalanza/Flammarion

Un grand vent littéraire souffle sur la guerre d'Algérie en cette rentrée où s'inventent à l'écrit des dialogues manquants entre les générations : Jean-Marie Blas de Roblès interroge superbement le parcours de son père, médecin pied-noir, Brigitte Giraud retrace avec beaucoup d'émotion celui d'appelé de son père infirmier. À la génération suivante, Kaouther Adimi restitue admirablement le patrimoine littéraire commun aux deux pays. Alice Zeniter, quant à elle, plonge - après le mémorable Moze, de Zahia Ramahni en 2003 - dans l'histoire des harkis. Ceux qui ont dû composer avec l'art de perdre, titre de son quatrième roman. Mais si la jeune romancière occupe une place de choix dans cette rentrée, c'est parce qu'autour de cette question elle compose une fresque haletante qui brasse toutes les composantes de l'histoire enchevêtrée de l'Algérie et de la France. Et cela sous le regard décapant de son héroïne, de père kabyle et de mère française, comme elle.
Naïma est une jeune fille plutôt délurée qui travaille dans une galerie d'art parisienne, dont le patron pense le monde comme feu Édouard Glissant (appelant à l'égalité entre ex-colons et ex-colonisés). Il la prend au dépourvu en la missionnant en Algérie à la recherche d'oeuvres d'un artiste qu'il souhaite exposer. Naïma découvre ce pays dont elle ne connaît pas la langue (la romancière Leïla Sebbar a immortalisé ce manque), que son grand-père Ali a dû fuir en 1962 et sur lequel son père, Hamid, n'a rien voulu dire. "Bien sûr, si j'écrivais l'histoire de Naïma, dit l'auteure, présente dans la narration, ça ne commencerait pas par l'Algérie. Elle naît en Normandie. (...). Pourtant, si on en croit Naïma, l'Algérie a toujours été là, quelque part. C'était une somme de composantes."

Le livre sur la place du 8 au 10 septembre. © DR
L'"Algérie de papa"

Ce mouvement de la génération née en France vers une origine complexe et toujours douloureusement ravivée, jusque par les attentats (voir l'expression de Nicolas Sarkozy "population musulmane d'apparence"), est le fait d'une jeune femme qui allie désir de comprendre les siens et affectivité à un vrai travail d'enquête (via Google et les archives de l'Ina). Alice Zeniter, penchée sur l'épaule de Naïma, s'en explique : "La fiction, tout comme les recherches sont nécessaires parce qu'elles sont tout ce qui reste pour combler les silences transmis entre les vignettes d'une génération à l'autre."
Le livre commence donc dans l'"Algérie de papa" (sic) et raconte avec truculence comment son grand-père Ali voit son sort de paysan transformé par un pressoir apporté par l'oued, faisant sa fortune, un vrai conte de fées. Puis l'arrivée du FLN : en une scène au village, tout est dit. Avec empathie, Naïma regarde son grand-père qui, par fidélité à la France pour laquelle il a combattu, va se placer du côté des perdants, qui finiront parqués dans les camps. De là, son père tentera de se construire à partir d'un extraordinaire malentendu de chaque côté des deux rives. Les petits-enfants n'en ont pas fini avec une histoire non écrite. Alice Zeniter la raconte ici, pour tous, dans un roman générationnel d'une superbe liberté.


"L'Art de perdre", d'Alice Zeniter (Flammarion, 512 pages, 22 euros). "Dans l'épaisseur de la chair", de Jean-Marie Blas de Roblès (Zulma). "Un loup pour l'homme", de Brigitte Giraud (Flammarion). "Nos richesses", de Kaouther Adimi (Seuil). 




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