Algérie

Génération ballottée entre modernisme et traditions


Avec la montée de l'intégrisme ambiant et l'absence d'une société civile consciente des enjeux sociétaux, nombre de phénomènes ayant diminué ou quasiment disparu, notamment dans les grandes villes, sont de retour ces dernières années. L'un d'eux est la réapparition du mariage consanguin et arrangé. Femmes et hommes abdiquent sous la pression sociale et, bien sûr, religieuse...
Zineb essaye, tant bien que mal, de sourire à ses trois enfants et garder une position constante pour témoigner : « J'ai l'impression que toute ma vie, j'ai combattu. Les seuls moments où j'ai pu être plus ou moins libre, c'était à l'université. J'ai poursuivi mes études de sciences politiques où j'ai pu côtoyer des gens de divers horizons. Je ne cache pas que je mentais sur mon planning parce que mon frère me surveillait constamment. Mon père étant décédé, il pensait être le garant de l'honneur ! Mais de quel honneur ! Il pouvait débarquer à n'importe quel moment à la fac et m'attendre à l'extérieur. Heureusement que les agents surveillaient les entrées sinon il aurait pu entrer. Là, je pouvais rire, discuter et échanger sans complexe mes idées et opinions de la vie. Je me sentais plus ou moins libre avec mon groupe d'amis. Je pensais réellement que je pouvais épouser un homme avec qui je parlerais sans me censurer et échanger des points de vue. C'était juste un rêve. À peine mes études terminées, mon frère m'a interdit de sortir sauf sous surveillance, comme si je voulais faire quelque chose de mal. Il n'y a que mes valeurs qui m'en empêchaient et rien d'autre : ni ses cris, ni ses coups, ni sa méchanceté. Quand il a constaté que je voulais travailler et je que je faisais appel à mes oncles pour sortir de son emprise, il a décidé de me marier. Du jour au lendemain, il a sorti de son chapeau son ami qui était, pour lui, convenable et un bon parti. Avec tous les versets coraniques expliqués à leur façon et la pression psychologique, j'ai dû accepter. Je n'ai pu discuter avec mon futur mari qu'après avoir pleuré, crié et ameuté tout le quartier. Je voulais au moins voire à quoi il ressemblait. Je savais qu'il était universitaire, pratiquant et avait un emploi stable. C'est tout. Habitant à Chéraga, dans une famille aisée et universitaire, je n'aurais jamais cru que je me marierais de cette façon. Je ne sais pas comment j'ai pu avoir trois enfants. Je ne sais pas comment j'ai pu vivre ses 12 années de mariage. Aujourd'hui, je suis en instance de divorce car je ne veux pas devenir folle. Je veux préserver ma santé mentale. Ce mariage arrangé m'a détruite surtout lorsque j'ai su que mon ex-mari m'a épousée par intérêt financier et par convenance sociale. Il ne m'a jamais aimée malgré tous les efforts que j'ai fournis. Il a toujours été amoureux d'une autre fille et n'a pas eu le courage de le dire et de l'épouser. Mon mariage a détruit cinq vies dont 4 victimes. Mon frère, pour sa part, a épousé une cousine qu'il a choisie pensant qu'elle était un ange. Elle lui fait vivre un enfer mais comme c'est un macho mais pas un homme, au sens noble du terme, il n'a pas le courage de divorcer. Au final, je suis plus courageuse que lui. Je vais tout faire pour trouver un travail et faire vivre dignement mes enfants, avec l'aide de Dieu uniquement. Je ferai en sorte que mes enfants fassent un mariage heureux parce qu'ils choisiront sans pression aucune leurs partenaires, sinon ils n'auront qu'à émigrer pour vivre leur vie. Nous n'avons qu'une vie après tout ! »
Le cas de Zineb est loin d'être isolé. Les réseaux sociaux, tribunes virtuelles des femmes, regorgent de ces histoires mais le plus surprenant est le consentement des deux parties et peu importe le niveau d'instruction ou encore le milieu social.
Faycel, 27 ans, cadre : « j'ai été forcé d'épouser ma cousine »
Le mariage consanguin est une pratique qui reste très répandue en Algérie comme dans le monde arabe et islamique, où les traditions et les motivations d'ordre social, culturel et économique ont le plus souvent orienté les candidats vers un choix au sein de la famille. Ce qui semblait avoir disparu pendant un certain moment est revenu même dans les grandes villes.
Et ce ne sont pas uniquement les femmes qui en souffrent. Faycel, cadre dans une entreprise publique, en témoigne : « J'ai poursuivi mes études universitaires à Constantine, une wilaya réputée comme conservatrice mais j'ai pu connaître une fille et nous avons décidé de nous marier. Il ne m'est pas venu une seconde à l'esprit que le problème viendrait de ma famille. Etant issu d'une famille assez aisée, je me suis dit que je l'épouserai dès la fin de mes études. De retour dans ma ville natale, Biskra, mes parents ont refusé catégoriquement. J'ai tout tenté pour faire aboutir le mariage, j'ai même demandé à une tante éloignée de venir avec moi pour demander la main de ma dulcinée. Elle avait accepté mais la fille dont j'étais amoureux a refusé que je me dispute avec ma famille pour cette union. Elle m'a lâché et je lui en veux jusqu'à présent. Elle aussi a dû accepter de faire avec les traditions de ce pays qui ne veut pas évoluer. Elle a épousé un cousin éloigné. Et moi, une cousine, que m'ont imposée mes parents, notamment mon père, qui ne voulait pas que les parcelles de palmerais soient partagées. Je n'aime pas mon épouse mais je la respecte. Je fais en sorte qu'elle et mes enfants ne manquent de rien. J'essaye tant bien que mal d'être un bon mari et un bon père. Mais être heureux, c'est juste des moments éphémères ! »
Ouassim, 29 ans, employé : « allô maman, trouve-moi une épouse »
Tout fier, Ouassim raconte comment il a pu faire craquer des jeunes filles qui n'ont pu résister à son charme. « Dès le lycée et à l'université, je peux dire que j'ai fait plein de conquêtes. Cela n'allait pas loin mais l'essentiel pour moi était de savoir que je plaisais et qu'elles pouvaient tomber amoureuses de moi. Je me rappelle que j'ai pu avoir deux relations sérieuses. Et avec l'une des jeunes filles, j'aurais pu me marier mais l'idée qu'elle ait pu sortir avant avec un homme ou avoir eu des sentiments pour lui me faisait peur. Donc, je ne l'ai pas épousée. Lorsque je me suis stabilisé et j'ai décidé de me marier, j'ai tout simplement demandé à ma mère de me chercher la perle rare et de bonne famille. Le critère pour moi le plus important est que je puisse lui mettre la main dessus alors qu'elle est à la fac. De cette façon, elle n'aurait pas eu de fréquentations. Après quelques hésitations, j'en ai choisi une que m'a présentée ma mère.
Après deux ans de mariage et avec du recul, je me dis que c'était une réflexion stupide. Elle a pu être amoureuse d'un garçon du primaire ou d'un membre de sa famille. J'ai été réellement bête de réfléchir de cette façon. D'autant plus qu'elle peut me tromper, et c'est ma hantise. Je ne peux pas la surveiller tout le temps. J'essaye tant bien que mal de faire en sorte que notre mariage réussisse, je n'ose même pas imaginer dire à ma mère qu'elle a fait un mauvais choix ! »
Sarah Raymouche
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